193ème jour – 7eme Partie
Après deux bonnes heures de chevauchée, le soleil commençait à décliner.
– Halte ! Ordonna Syanna.
Nous étions au sommet d’une colline, et notre destination, le Refuge de l’Ornière était en vue. Je fis en sorte de mémoriser le plus possible chaque partie du paysage. Ca m’avait déjà sauvé la vie par le passé.
A l’inverse du Trépas d’Orgrim qui se situait sur un surplomb, l’Alliance avait bâti le refuge dans le creux d’une vallée, cachant ainsi ce poste avancé aux regards. Dans une bataille conventionnelle, la position du refuge le rendait facile à attaquer par une armée conséquente, et dotée d’artillerie lourde.
Mais c’était une histoire complètement différente de l’attaquer en petit groupe : les escarpements de parois de la vallée étaient très délicats à descendre silencieusement, et doucement, et il était presque impossible de ne pas se faire repérer durant l’opération. Le refuge était en ce sens bien situé : c’était un poste d’observation permettant l’approvisionnement de renforts pour le bassin d’Arathi, et facile à évacuer par griphon en cas d’assaut de grande envergure.
– On procède comme prévu, annonça Modig. Se tournant vers Syanna et son groupe, il continua : ne faites rien d’imprudent surtout. Vous faites du bruit, quelques blessés, mais ne vous exposez pas inutilement.
– Pas d’inquiétude / Modig ! / C’est pas notre / première mission. / Ca va être / un jeu d’enfant / acheva Syanna avant de déclarer à l’intention de ses camarades : « C’est l’heure du spectacle les filles ! On y va ! Pour la Horde ! »
Et toutes de suivre l’enthousiasme de leur chef non-officielle : « POUR LA HORDE ! ».
Erinye, Modig, Torf et moi-même entonnèrent à notre tour : « POUR LA HORDE ! ».
Elles partirent en trombe vers l’entrée sud du refuge, formant le nuage de poussière qui nous était familier. Bien que la vue de ces intrépides combattantes soit inspirante, nous ne pouvions rester là à simplement les regarder.
– En route, annonçais-je. A nous de jouer notre rôle ! Je n’aimerai pas qu’on aie entraîné les filles là dedans pour rien.
Erin et Mod’approuvèrent. Torf eut un peu plus de mal à détacher ses yeux de son coup de foudre de la journée, et ne hocha la tête que quelques secondes après. Puis, tous les quatre, nous chevauchèrent jusqu’à l’entrée nord du refuge. La mission allait enfin pouvoir commencer.
Lorsque nous arrivâmes à notre position, la nuit venait juste de tomber. Les bêtes sauvages se taisaient désormais, et le silence régnait sur les hautes terres d’Arathi. Mais plus pour longtemps.
– A toi de faire la reconnaissance des lieux, « éclaireur », me nargua Erinye, avec un grand sourire.
Erinye elle-même avait le grade de Légionnaire, et aimait bien ma taquiner quant au fait que je conserve, année après année, le grade le plus bas des troupes de la Horde. Mais aussi absurde que ça paraisse, ça me convenait très bien de faire carrière dans la reconnaissance. C’est sûr, pour développer ses talents au combat, c’est pas le mieux. Mais être éclaireur poussait à analyser vite et bien une situation, et à apprendre à éviter le danger dès que c’est possible : les éclaireurs trop téméraires, impatients ou imprudents ne vivaient généralement pas très vieux.
– Evidemment que c’est à moi de le faire, « légionnaire » ! Vous vous tromperiez si vous le faisiez à ma place, contrais-je au tac-o-tac.
Ces notes d’humour nous avaient tous mis de bonne humeur, et je sentais les deux taurens impatients d’en découdre.
J’envoyais ensuite mon esprit hors de mon corps, dans celui d’un gros lézard qui flémard ait un peu plus loin.
A la différence du contrôle mental, qui consiste à projeter toute ma force mentale dans une créature proche pour dominer son corps par la force, la Vision de l’esprit était une technique permettant de simplement « voir » par les yeux d’une autre créature, ainsi qu’à communiquer avec cette dernière par télépathie, ou par suggestion mentale. Ca marchait plutôt bien avec les animaux. En tout cas, c’était beaucoup moins fatiguant que le contrôle mental, et très pratique pour la reconnaissance.
Grâce au lézard, qui était à quelques mètres à peine de l’entrée du guet, je pus avoir une vision plus claire de la situation. Il y avait deux gardes humains, et j’aperçu derrière eux quelques montures qui se reposaient : des béliers, des chevaux, et une panthère à dents de sabres qui dormait devant l’écurie. Cette carnivore ne devait pas mettre ses voisins herbivores très à l’aise. Je fis passer mon esprit de lézard à la panthère. Ces créatures sont les montures habituelles des elfes de la nuit, et en conséquence, leur acuité nocturne est excellente.
« Ouvre les yeux et lève la tête » suggérais-je mentalement à la monture. Elle fit ce que je lui demandais, inconsciente de ma présence. Grâce à ses yeux, je pouvais voir le campement de l’intérieur et dans son ensemble.
Je vis tout d’abord un groupe de fantassins, qui discutait autour d’un feu de camp. Deux vieux soldats blaguaient avec trois plus jeunes. En les écoutant quelques minutes, j’appris que les vieux avaient fait la troisième guerre, et avaient fui Lordaeron avant qu’il ne soit trop tard. Peut-être les avais-je croisé ou connu de mon vivant ? Mais si tel était le cas, je n’en gardais aucun souvenir. Les plus jeunes partageaient le même point commun tragique : ils étaient tous orphelins.
Leurs parents avaient été tués par l’ancienne Horde, ou par le Fléau. Ils s’étaient tous trois connu à l’académie militaire de Stormwind. L’un des trois rêvait de vengeance, les deux autres de paix, chacun à leur façon. Au fil du temps, ils en étaient venus à se considérer comme des frères, et comme une famille. C’était touchant, pensais-je avec mépris. Mais sans grand intérêt pour moi. Personne au sein de ce petit groupe ne correspondait au profil que je cherchais.
« Regarde plus à gauche ».
Et la panthère tourna la tête dans la direction que je voulais. Il y avait ce qui semblait une tente de repos, pour les voyageurs. Soudainement, un chevalier portant le tabard de l’Alliance en sortit, visiblement contrarié.
« Suis le du regard » encourageais-je mes yeux d’emprunt.
Le chevalier se dirigea vers une table un peu plus à l’écart, où se trouvaient déjà sept autre personnes : quatre humains, dont trois portant le tabard de la Ligue d’Arathor, que je reconnus sur le champ. Il y avait ensuite un nain, une gnome, et un elfe de la nuit. Probablement la propriétaire de la panthère. Mise à part les trois de la Ligue, les autres portaient des tabards différents que je ne reconnus pas, ou n’en portaient même pas du tout. Je présumais qu’ils faire partie de petites guildes de l’Alliance, ou être des aventuriers indépendants.
« Ecoute les attentivement », et la panthère se concentra sur le groupe. C’est assez impressionnant l’ouïe de ces créatures. En revanche, elle ne comprenait pas leur langage. Mais moi si : ils parlaient en « commun », la langue humaine utilisée que tous se comprennent dans l’Alliance. La Horde utilisait le langage orc comme point de référence pour tous. Taurens et Troll n’avaient pas mis longtemps à parler ce langage. Pour nous autre réprouvés, qui parlions le commun ou le thalassien, ce fut plus délicat. Le cas présent, ayant vécu à Lordaeron toute ma vie, et même une partie de ma mort, je savais encore très bien parler le commun, et parvins à comprendre l’essentiel de la conversation.
A la vue du chevalier, l’une des femmes, une brune, portant le tabard de la Ligue se leva.
– Alors messire ? demanda-t-elle
– Rien à faire ! Ce mage est incroyablement têtu ! Répondit le chevalier, furieux. Il dit que la bataille du bassin d’Arathi ne le regarde pas, et il ne souhaite pas nous venir en aide.
– Ah… Je craignais cela. Je suis désolé Sire Maximus, mais il y a peu de chance qu’il change d’avis. Il est assez… connu pour ça. intervint le nain, visiblement gêné.
– Maître Basnain, ne pouvez vous pas essayer de le convaincre ? Nous aurions grand besoin de ses talents ici ! Même s’il ne reste qu’une semaine ! Ca pourrait nous permettre de faire tourner la bataille en notre faveur !
Celui qui venait de parler était un homme roux vif (ce qui donne pour moi un gris très particulier et facile à identifier) et très enthousiaste. Il portait lui aussi le tabard de la Ligue. Le nain s’apprêtait à répondre, mais le dernier des humains de la ligue leva le bras, et pris la parole.
– Nous ne pouvons le forcer. Même si sa décision est pénible, il nous faudra chercher des renforts ailleurs. Sergent MacClear, Samuel, allez voir si vous pouvez convaincre d’autres aventuriers de passage de nous rejoindre.
– Oui, Grand Maréchal, entonnèrent en cœur l’homme roux et la femme brune, avant de se retirer de la table.
– Je vous remercie néanmoins Basnain pour votre aide. Par votre dévouement, vous faites honneur à l’Alliance, ainsi qu’à l’Ordre de la Chevalerie de Don Leonardo.
– Vous me flattez, Grand Maréchal Oslight. Je ne fais que mon devoir de paladin. Je regrette moi-même que mon ami ne souhaite pas intervenir plus. Vous pouvez en tout cas compter sur ma participation.
– Nous nous en souviendrons. Vous devriez aller vous reposer maintenant.
– Aîe ! Je vais suivre votre conseil. Bonne nuit messieurs.
Le nain salua, puis se leva et quitta la table, suivi par la gnome et l’elfe. Tous trois allèrent dans la tente voisine de celle du mage récalcitrant. Ne restait plus que le « Grand Maréchal Oslight », le chevalier « Maximus », et une humaine que je n’avais pas encore identifiée. Une blonde, ou rousse, vu la teinte de gris. C’est toujours tellement dur à dire pour les femmes. En l’absence d’une lumière du jour valable, il est délicat de déterminer ce genre de détail. Les reflets sont un bon indice d’habitude, mais ce soir ils me font cruellement défaut… Dans le doute, je vais considérer qu’elle est rousse, et si ce n’est pas le cas… eh bien ce n’est pas comme si quelqu’un m’en voudra pour ma méprise de toute façon. Alors quelle importance ?
Après quelques minutes de silences, afin d’être sûr de ne pas être écouté, le chevalier pris la parole.
– Oslight, vous êtes trop souple. Nous devrions être beaucoup plus persuasifs avec les aventuriers ! Ils peuvent nous être d’une grande aide ! Que ce mage reste dans sa tente au lieu d’aller sur le champ de bataille me rend malade !
– Calmez vous Maximus. Et que croyez vous qu’il ferait sur le champ de bataille ? S’il ne veut pas y aller, ce n’est pas en l’y forçant que ça arrangerait les choses.
– Tout de même, nous perdons une belle opportunité de prendre l’avantage sur les profanateurs… La Horde a bénéficié de renforts constants ces derniers temps et vous le savez. Si nous voulons un jour reprendre le bassin–
– Nous reprendrons le bassin d’Arathi, le coupa Oslight. Ce n’est qu’une affaire de temps. Se tournant vers la femme, il continua : « Capitaine Nials, où en sommes nous des renforts et du ravitaillement que je vous aie demandé ? »
La femme rousse, qui portait le tabard du Refuge, lui répondit :
– Je n’ai pas eu de réponse de Stormwind. Je ne sais pas ce qu’il se passe là bas, mais la noblesse semble plus se préoccuper de protéger la cité et ses habitants que de sécuriser les positions de l’Alliance. Jusqu’à présent, je n’ai pu compter que sur l’aide des nains d’Ironforge pour des approvisionnements réguliers de matériel. Mais les hommes vont finir par manquer.
– Vous voyez Oslight ? C’est pour ça que je vous dis que nous devons être plus persuasifs avec les aventuriers !
– Je vous aie entendu Maximus… répondit Oslight, d’un ton las
Le grand maréchal soupira, puis continua dans ses sombres pensées
– Je crois qu’il serait bon que j’aille moi-même à Stormwind pour demander nos renforts. Le Généralissime Fordragon ne restera pas sourd à la requête d’un autre militaire. Et au moins, je verrai de mes propres yeux si la corruption de la noblesse est aussi oppressante qu’on le dit. Je vais aller me reposer. Oh, et je parlerai à ce mage demain, par amitié pour vous Maximus, même si je rejoins l’avis du nain : il campera sur ses positions.
A ces mots, le chevalier ne put masquer son sourire, et s’inclina.
– Merci Oslight. Passez une bonne nuit.
– Bonne nuit Maximus, Bonne nuit Capitaine Nials.
La femme rousse s’inclina à son tour. Le Grand Maréchal prit congé, et je fis en sorte de repérer sa tente. Elle était un peu plus à l’écart des autres, et situé au nord du campement.
Ca en était presque trop facile. C’est comme si cet humain souhaitait se faire kidnapper ! De toute façon, il n’y avait pas d’hésitation possible, c’était lui ma cible principale : à lui seul, il valait largement plusieurs lieutenants. Luminelle serait ravie.
J’observais le reste du campement, à la recherche de cibles secondaires. Les aventuriers avaient leurs tentes regroupées en plein cœur du refuge, et proches du feu, ce qui ne facilitait pas les choses. Mieux valait des cibles plus isolées. La capitaine Nials semblait être en charge du refuge, elle ferait une bonne cible secondaire. Le chevalier Maximus serait sans doute un vaillant combattant, mais face à deux taurens et avec l’effet de surprise, nous devrions le capturer sans difficultés. Quant aux deux autres de la ligue d’Arathor, la femme, MacLear, avait le grade de « Sergent », et pour être admis à une table de commandement ce Samuel devait avoir une certaine importance.
Enivré par le prestige de mes futurs prisonniers, j’en venais à me demander s’il y avait un « bonus » à celui qui ramenait les meilleures cibles ?
Quoi qu’il en soit, ma reconnaissance était terminée. Je quittais donc l’esprit de la panthères, qui choisit de dormir juste après. Puis je rouvris les yeux. Mes yeux. Ceux de mon corps de mort-vivant. Et je tins au courrant mes camarades de ce que j’avais appris. Puis nous attendîmes…