193ème jour – 3eme Partie
L’effet de surprise fonctionna, et il me fallut quelques secondes pour arriver à reprendre mes esprits. J’observais Luminelle quelques instants : elle affichait un visage serein, souriant, et déterminé à la fois.
– Raser Austrivage… tu es sérieuse ? demandais-je, partagé entre l’incrédulité et l’envie de rire.
– Oui. Ce sont mes ordres, répondit-elle sans sourciller. Cette ville est une épine dans le pied de la Horde. Sans elle, nous contrôlerions toute cette région. Dalaran serait isolée, de même que les postes avancés de l’Alliance plus au nord. De plus, ça règlerait le problème des affrontements réguliers entre cette ville et les moulins.
– Donc on s’y prend comment pour raser Austrivage selon toi, Seigneur de Guerre ? ajoutais-je avec sarcasme.
– On l’attaque en surnombre. Répondit-elle imperturbable.
J’attendis quelques instants la suite. Mais aucune suite ne vint.
– Quoi ? C’est tout ? C’est ça ton plan ? Un assaut massif contre Austrivage ?
– Ben oui, tu as d’autres idées ? demanda-t-elle innocemment.
– Euh… c’est pas ça, disons juste que la ville est plutôt… « peuplée ». Entre les locaux, les aventuriers, et les guildes, Ca risque d’être un peu difficile si on le fait comme ça.
– N’est-ce pas ? C’est aussi ce que je pense. C’est pour ça que j’ai mis en place quelques groupes dont le but sera de désinformer la ville.
– Tely en parlait vaguement dans sa lettre. Qu’est ce qu’on devra faire au juste ?
– Capturer des hauts-gradés de l’Alliance des environs, les interroger discrètement sur les défenses de la ville, et surtout réussir à leur faire croire que nous envisageons un raid sur la ville portuaire de Ménéthil.
– Intéressant. L’importance de Ménéthil est indiscutable : c’est par là que transitent tous les bateaux en provenance d’Auberdine et de Théramore. Sans Menethil, les deux continents seront coupés l’un de l’autre. Ca ne devrait pas être trop difficile de faire avaler ce joli mensonge aux Allys.
– Héhé. Bien, je suis ravie que tu trouves cette mission facile. Et je suis persuadée que tu sauras user de tes dons de persuasion à merveille.
Je réfléchis quelques secondes. Il y avait un piège. Je le sentais.
– Une petite minute… la désinformation ne devrait pas trop me poser des problèmes, en effet. Mais pour la capture des hauts-gradés, comment est-ce que ça doit se passer ?
– J’ai dispatché plusieurs groupes pour en kidnapper du côté du refuge de l’ornière, de Dalaran, et d’Austrivage même.
Mais ça ne répondait pas complètement à ma question. Je grimaçais, et insistais dans ma demande :
– Par « Haut-Gradés » de l’Alliance, tu entends qui ? Vous avez des noms ?
– Pas vraiment. Mais n’importe qui d’un peu crédible fera l’affaire : des militaires, des lieutenants de guildes, etc. Tant qu’ils sont plus importants qu’un simple soldat, ça sera suffisant.
Luminelle se dirigea vers les cartes, et pointa du doigt les villes-cibles des kidnappings, puis continua son briefing.
– Il est prévu de capturer quatre ou cinq personnes de chacun de ces postes de l’Alliance, puis de les rassembler aux moulins de Tarren pour l’interrogatoire Ensuite, nous en laisserons « involontairement » filer quelques uns, trois ou quatre au maximum, et tuerons les autres, de cette façon…
– De cette façon, les « évadés » iront se réfugier à la ville la plus proche, Austrivage, et feront passer le message qu’un assaut est prévu sur Ménéthil. Et comme il y aura eu des morts, et que eux-mêmes croiront s’en être tiré par la chance, cela provoquera la colère de l’Alliance qui tentera certainement des représailles.
C’était Torfarlak qui venait de répondre. Il avait rebranché son cerveau. Et vu sa réponse, je commençais à penser qu’il avait peut-être l’esprit plus affûté qu’il n’en avait l’air. Au moins un peu. Luminelle, en tout cas, fut ravie de son intervention.
– Exactement, tu as tout compris. Et tout au moins, je pense que cela fera qu’une bonne partie des défenses de Austrivage sera réquisitionnée pour former un raid de protection de Menethil. Ils chercheront à prendre en tenaille le groupe de la horde qui attaquera la ville…
– … sauf qu’il n’y aura pas de groupe de la horde à cet endroit. Et le temps qu’ils s’en rendent compte, Austrivage ne sera plus qu’un tas de cendres fumantes, c’est bien ça ? Achevais-je
– C’est ça. Alors, qu’en penses-tu, Luther ?
Luminelle était ravie que nous ayons son plan, mais je n’étais pas complètement dupe.
– Ca me parait jouable. Pour une fois, ça semble tenir la route. Bon, où est le piège ?
– Quel piège ? demanda-t-elle innocemment
– Y’a toujours un piège. En l’occurrence, tu comptes nous envoyer où Torfarlak et moi ?
– Je vous charge du Refuge de l’Ornière, un peu plus au sud-est d’ici, dans les Hautes-Terres. Vu que c’est sur le chemin pour les moulins, considère ça comme une bonne balade.
– Bien, qui sont les autres qui viennent avec nous ?
Un léger silence. Luminelle redressa deux trois cartes qui semblaient être trop de travers, et rassembla quelques feuilles qui trainaient. Elle en fit un beau tas tout propre et sembla nous oublier. J’insistais donc.
– Luminelle, avec qui allons nous faire équipe ?
Elle prit conscience que je ne lâcherai pas le morceau, et fit celle qui ne voyait pas de quoi on parlait, avec son grand sourire habituel.
– Euh… comment ça ?
– Ben, tu nous demandes d’attaquer en douce un poste de l’Alliance, et de capturer quatre ou cinq personnes. Donc y aller à deux, ça semble un peu léger, non ?
Un silence me répondit. C’était ça le piège.
– Alors c’est ça le piège. On est que deux.
– Ben, un prêtre et un guerrier, c’est une bonne combinaison, tu ne trouves pas ? De toute façon, je n’ai plus personne de disponible. Le gros des troupes s’entraîne et se prépare pour le raid qui a lieu dans dix jours.
– Dix jours ?! C’est une blague ?! Comment tu veux qu’on prépare un quintuple-kidnapping, un interrogatoire désinformant, une fausse évasion, le tout à deux et en seulement dix jours ?! Rien que pour aller aux moulins il nous faudra une journée et demi !
– Ben…
– Je retire ce que j’ai dit. Ca sent le plan foireux.
Luminelle cessa de sourire, et se mit à parler d’une voix beaucoup plus menaçante. Vraiment beaucoup plus menaçante.
– Je te suggère de me parler sur un autre ton, éclaireur. N’oublie pas à qui tu t’adresses ! Je ne formalise pas les relations parce que nous sommes tous des Bloodlust, mais ne pousses pas trop loin !
Chaque mot tombait comme un couperet. En fait, sa voix aurait glacé le sang d’un mort. Littéralement. Ce changement abrupt me pris au dépourvu. Elle continua ses réprimandes pendant que j’accusais le coup.
– Si tu préfères, tu peux toujours refuser la mission, et retourner à Kargath. Je crois qu’il y a encore beaucoup de surveillance et de balayage à y faire. Mais entre le blâme de la dernière fois, et la désertion qui serait comptée aujourd’hui, tu risquerais d’y rester deux bons mois, minimum.
– Je…
Mais elle ne me laissa pas répondre.
– Le choix est à toi. J’ai essayé de te sortir de ce trou à rat, parce que je déteste sans doute autant que toi les endroits poussiéreux ! Maintenant, si tu es trop bête pour saisir cette opportunité, je ne peux plus rien pour toi ! Ca m’apprendra à faire du zèle pour les camarades de guilde…
Elle se retourna et croisa les bras, boudeuse. Torfarlak suivait le ping-pong entre moi et Luminelle depuis tout à l’heure, il était très gêné. Quant à moi, je réfléchissais à ce qu’elle venait de dire.
– Luminelle ?… appelais-je calmement, en fixant le sol, les bras croisés
– Oui ? répondit-elle, tout sourire, en se retournant vers moi comme si de rien n’était.
– Tu viens de m’engueuler, puis de me menacer, et là tu essayes de me faire culpabiliser, et de te faire passer pour la gentille en prime.
– Héhé, c’est pas faux. Et ?
– Ben, c’est pas un peu abusé quand même ?
– Et donc, tu choisis quoi ? esquiva-t-elle
Je soupirais un grand coup, puis relevais la tête et la regardais droit dans les yeux, déterminé.
– On va la faire, ta mission. « Tout plutôt que la poussière ! », c’est ce que je m’étais dis en venant ici. Mais je tiens à t’exprimer ma plus entière désapprobation, et si jamais on ne s’en sort pas… Ben je t’annonce officiellement que je compte te hanter jusqu’à la fin de ta non-vie !
Torfarlak me regarda d’un air navré. Il ne devait pas s’être attendu à une réaction aussi lâche et molle de ma part, vu mon ton. Mais bon. C’est pas lui qui risque la poussière à vie, donc zut. Luminelle eut un grand sourire à nouveau, et répondit simplement :
– Ça me va. Bonne chance !
Et sur ce, nous sortîmes de la hutte de commandement.