45ème jour
J’ai fait une rencontre intéressante aujourd’hui. J’avais besoin de minerai de fer, et m’étais donc rendu aux mille pointes. Je crois que j’apprécie cet endroit. En tout cas, je m’y sens en paix. L’altitude me permet de me sentir plus… enfin, disons que j’en oublie brièvement la malédiction qui me frappe, et c’est toujours ça de gagné.
Entre deux prospections de minerai, je suis monté au sommet d’un pic, et y aie fait une pause. Allongé, à regarder le ciel. Cela me semblait tellement futile… et pourtant… pour une obscure raison, je ne pouvais détacher mon regard de l’immensité bleue. Un bref moment de paix dans une vie de souffrance, de douleur, et de batailles.
Tout ça parce que nous sommes des non-morts, des créatures corrompues, devenues malfaisantes malgré elles, les autres races croient que nous voulons l’extinction du monde… l’extinction du Fléau, responsable de notre condition oui. Ca, c’est notre souhait le plus cher. A tous. La vengeance peut d’ailleurs être un étonnant moteur quand on y pense. Mais du reste… Certains des nôtres veulent aussi que le reste de l’humanité nous rejoigne dans la non-mort, et je soupçonne notre reine d’avoir des visées expansionnistes. Me concernant, la mort de tous nos ennemis me suffirait. Tant que les autres races nous laissent en paix, je ne tiens pas personnellement forcément à les exterminer. Mais bon… visiblement, l’Alliance, ainsi qu’une partie de la Horde, nous confond avec le Fléau, et je pense la situation sans espoir. Ils devront sans doute tous mourir avant qu’on puisse enfin avoir la paix.
Mais je m’égare. Ce bref moment de paix intérieure se termina bien vite. Je fus interrompu dans mes réflexions par une gnominette, qui s’était approché de moi. Etait-elle extraordinairement courageuse ou terriblement inconsciente pour oser s’approcher d’un réprouvé à ce point ? La suite me prouva que c’était bien de l’inconscience, mue par un mélange de curiosité malsaine, de soif de pouvoir, et surtout d’une absurde confiance en elle-même.
– Lève-toi, démon ! me lança-t-elle.
Intérieurement, je soupirais. J’étais très bien allongé, aucune envie de bouger.
– Je ne suis pas un démon. Juste un non-mort. Laisse-moi maintenant.
Elle fut visiblement surprise. Par le fait que je parle sa langue peut-être ? Bien que nous autre réprouvés parlions souvent en bas-parlé pour ne pas être compris des autres races, nous n’en avons pas moins été humains ou elfes un jour… et nombre d’entre nous se rappellent et comprennent encore le commun.
– Je vois. On fait la forte tête. Debout j’ai dit ! A partir d’aujourd’hui, tu es mon serviteur, démon !
Pour le coup, je décidais de me relever et de voir plus précisément à qui j’avais à faire. La gnominette avait les cheveux mi-longs, et n’était pas spécialement bien coiffée. Ses cheveux étais foncés, et ses yeux semblaient clairs en comparaison. Pour la couleur, je ne peux dire… Cela dit, l’avantage de ne pas voir les couleurs est que ça déculpabilise pas mal en fait. Ne plus pouvoir différencier l’eau du sang fait beaucoup relativiser sur la fragilité des créatures vivantes. Je décidais de sonder rapidement son esprit.
Sigmina. C’était comme ça qu’elle se faisait appeler. Une démoniste. Intéressant. Une jeune. Elle confondait encore bêtes sauvages, démons, draconiens et morts-vivants. Elle ne fera pas de vieux os si elle n’apprend pas vite.
– Tu es une démoniste. Ceux que tu soumets à ta volonté sont des démons. Comme je te l’ai déjà dit, je suis un non-mort, un Réprouvé ! Ajoutais-je en haussant le ton et me redressant de toute ma hauteur.
L’effet recherché fut obtenu : elle recula de quelques pas.
Je décidais de continuer à être un peu théâtral. Cela m’amusait beaucoup à vrai dire. Je continuais avec une révérence.
– Luther, prêtre des ombres au service de la Dame Noire. Relevant juste la tête, et la fixant du regard, j’ajoutais : et tes pouvoirs sont sans effet sur moi.
Cette dernière pique l’avait semble-t-il touché, même si elle restait mal à l’aise.
– Ah, tu crois ça ? Quand je décide d’avoir un nouveau serviteur, il m’obéit, et c’est tout ! Belgup ! Corrige cet impudent !
Une petite silhouette, qui était cachée jusqu’à présent, apparut de nulle part. Un diablotin. Petits, mais sournois et dangereux. Leurs pouvoirs ne sont pas à prendre à la légère. Il incanta une boule de feu et me l’envoya. Je du l’encaisser, mais ça allait. La démoniste et sa créature étaient puissants… mais je l’étais bien plus.
– Bien, si tu le prends comme cela, laisse-moi te montrer ce dont je suis capable.
Comme d’habitude dans ce genre de situation, je commençais à créer un bouclier d’énergie autour de moi. Les boules de feu du démon, et les projectiles d’ombre de sa maîtresse ne réussirent pas à le franchir. La démoniste utilisa sa magie noire pour que je me consume, mais je fis vite disparaître son feu sombre. Fixant le petit démon, je décidais de contre-attaquer, et l’attaqua là où ça pouvait le toucher le plus. Avec une décharge d’énergie sombre, j’ai retourné sa force magique contre lui, le brulant gravement au passage. La pauvre créature ne s’était pas attendu à ça je crois, et privée de forces, elle disparut dans un dernier soupir. Bien sûr, elle n’était pas morte. Juste révoquée. Sa maîtresse pourra l’invoquer de nouveau quand bon lui semblera, il aura probablement récupéré. Mais je ne comptais pas accorder à la démoniste une pareille faveur.
Me tournant vers Sigmina, je lui fis mon plus beau sourire, plein de dents pourries et décrépies. Elle fronça les sourcils, et commença à incanter un nouveau sort.
– Silence. Pensais-je intérieurement à son attention.
Ma magie fit son effet, et sa voix mourut sans qu’elle ne comprenne comment. Elle leva des yeux à présent terrifiés vers moi, et fit un pas en arrière. Elle devait pensait à la fuite maintenant. Mais elle ne s’en tirerait pas à si bon compte, oh ça non. Je fermais les yeux, et incantais à mon tour. Je l’entendis commencer à courir. Mais il était trop tard ! Bien trop tard…
Elle s’arrêta en pleine course. Ou plutôt, je l’arrêtais. Je rouvris ses yeux. Son corps était sous mon contrôle désormais. Beaucoup oublient l’existence de cette capacité que nous autre, les prêtres, avons appris à maîtriser. J’entendis sa voix au fond de son crâne, que je dominais maintenant totalement. “Libère moi, monstre !” hurla-t-elle. “Amusant n’est-ce pas ? La dominatrice dominée.” fut ma réponse.
Je commençais à marcher tranquillement vers le bord du pic.
“Eh ! Attend ! Qu’est ce que tu fais ?!”
“A ton avis, gnome ? Tu m’as provoqué, tu dois en payer le prix.”
“Monstre ! Démon ! Arrête ça tout de suite ! Ou sinon—“
“Sinon quoi ? Tu n’es pas assez puissante pour me battre. Pas encore du moins. Dans une minute ça sera fini. Je sauterai du haut de cette falaise. Ton corps s’écrasera tout en bas. Ta vie touchera à sa fin. Et ma non-mort continuera.”
“Je… je…” Sa voix devenait oscillante. “Je ne veux pas mourir ! Arrête ! Pitié !” La colère avait fait place aux sanglots.
Je suppose que j’aurais du ressentir de la compassion pour cet être. De la pitié. Mais ces sentiments n’étaient plus que des mots. “Pitié ? Qu’est-ce donc ? Je ne crois pas que tu faisais preuve de pitié quand tu voulais m’asservir ! Je ne crois pas non plus que tu aie fait preuve de la moindre pitié vis à vie de ma condition. Cela dit, tu aurais eu tord. La pitié est juste une faiblesse qui pousse à hésiter, et qui coûte souvent la vie.”
“S’il te plaît… je… ne veux pas… mourir…”. Elle était en larme. Pitoyable créature. Les mortels réagissent tous de la même façon lorsqu’ils sentent leur mort venir. Je sentais sa peur, indicible, irrationnelle, incontrôlable.
Elle était au bord du vide maintenant. Je lui fis avancer un pied. Des cailloux glissèrent. Leur chute sembla durer une éternité. Mais j’étais de bonne humeur ce jour là.
« Tu es prête, petite gnome ? C’est le moment de ton heure de gloire. Savoure bien ces quelques instants. Il parait que la sensation, lorsqu’on est sur le point de mourir, est unique ! »
« Arrête… je t’en supplie… arrête… »
Elle avait abandonné tout espoir désormais. Son assurance avait disparu. Il ne restait plus qu’une gnome remplie de regrets. C’était cruel de ma part de me moquer d’elle, je le reconnais. Mais telle était la dure loi du plus fort, et nul doute que si elle avait gagné le combat, elle m’aurait réduit en poussière sans arrière pensée.
« On va voir combien de temps dure la chute. Je parie sur vingt bonnes secondes, et toi ? Hahahaha ! »
Et sans attendre sa réponse, je la fis sauter. J’entendis ses hurlements dans la tête. Bruitage insignifiant et agaçant. Les gnomes ont des voix décidément trop aigües. Puis son corps atterrit sur le sol. Tous ses os craquèrent. Je ne pouvais dire combien de fracture elle avait. Le choc ne l’avait pas tuée sur le coup. Mais elle était blessée à mort, et mourrait dans les minutes qui suivraient. Je décidais de lui rendre ce qui restait de son corps. “Adieu, gnome. Ton ignorance aura été ta perte”.
Je rouvris les yeux, ceux de mon corps. Mmmm… Être dans un corps vivant est plus agréable, c’est indéniable. Enfin bon. J’étais de bonne humeur aujourd’hui, comme je l’ai dit. Il me restait donc quelque chose à faire. Je m’approchais du bord de la falaise. La gnome gisait en bas. Elle ne bougeait pas. Je sautai dans le vide à mon tour. La sensation de vitesse était grisante. Mais comme je ne tenais pas à finir en miettes, j’utilisai mes pouvoirs pour ralentir ma chute. J’atterris doucement à quelques mètres d’elle, avec la légerté d’une plume. Elle agonisait. Elle essaya de tourner la tête vers moi. Son regard était vide. La vie la quittait. Elle crachait du sang. Il était gris.
Je me penchais tout prêt de son oreille, et lui chuchotai : Maintenant, tu as un bref aperçu de la mort. Bientôt, elle sera ta compagne, pour toujours.
La gnome lâcha une larme. C’était une démoniste. Elle jouait avec la magie la plus noire et les créatures les plus dangereuses au monde : les démons. Quelles que soient les raisons qui l’avaient poussé sur cette voie, elles ne devaient pas être complètement pures ou altruistes. La quête du pouvoir ne l’est jamais.
Je souris, fermai les yeux, puis incantai, une dernière fois. Mais pour une fois, ce n’était pas la magie de l’ombre que j’appelais à moi. C’était le pouvoir guérisseur de la lumière. J’y faisais rarement appel, mais dans de rare cas, mes compétences curatives me servaient malgré tout.
La gnome fut entourée d’une lumière très forte. Elle fut secouée de spasme, et presque instantanément, ses blessures se refermèrent, ses os se ressoudèrent. Sa vie n’était plus en danger. Mais elle restait mentalement harassée par ce qu’elle venait de subir, et garderait des blessures douloureuses pendant les semaines à venir.
– Pour… quoi ?… réussit-elle à demander.
– Parce que je suis un réprouvé. Mais qu’aujourd’hui, j’étais de bonne humeur. Fais attention à toi démoniste. D’autres ne sont pas aussi sentimentaux que moi. Ne fais plus jamais l’erreur de confondre un démon et un mort-vivant. Adieu, Sigmina.
Elle était à sa limite, et s’évanouit. Bah, elle était largement assez forte pour survivre dans la région. Elle s’en sortirait. Et même si elle y restait, après tout, tant pis. C’était la règle du jeu.
Note : Cet évènement peut sembler anecdotique, mais cette rencontre m’a fait du bien. J’espère sincèrement que cette petite démoniste a survécu, et qu’elle a gagné en puissance. Pourquoi l’avais-je épargné ?… Après tout, elle manie les arts sombres, et est une ennemie. Mais au fond d’elle, je l’ai vu, il subsistait une certaine pureté d’âme et de l’innocence. Je ne voulais simplement pas détruire cela, moi qui ai définitivement perdu l’un comme l’autre.
Extraits du Journal de Luther,
Prêtre des ombres, au service de la Dame Noire.