62ème jour – 2ème Partie
Les cloches me réveillèrent au beau milieu de la nuit. Astenaban entra en trombe dans ma chambre, l’épée à la main :
– Lève toi ! Tout de suite ! Il faut partir !
– Quoi ? Qu’est ce qu’il se passe ?
– Pas le temps de t’expliquer. La ville est attaquée par les morts-vivants !
Je m’habillais rapidement, puis descendit au rez-de-chaussée pour trouver mon père, mes frères, ainsi que quelques voisins en train de discuter.
– Le Fléau attaque de tous les côtés ! Plusieurs quartiers sont déjà tombés. Ils tuent tout le monde.
– On dit que c’est le Prince qui dirige les mort-vivant ! Comment est-ce possible ?!
J’écoutais attentivement le reste de la conversation. Mon père essayait de calmer les autres. Son statut de mage lui conférait une certaine autorité sur les autres.
Le Prince Arthas était enfin revenu du continent glacé, le Norfendre. Il avait vaincu le seigneur de l’épouvante Mal’Ganis, et sauvé le royaume des armées de mort-vivants qui le menaçaient.
Et ainsi, à son retour, Arthas avait été accueilli comme le héros qu’il était.
Comme le héros que nous pensions qu’il était…
Mais au cours de ses combats, son âme avait été corrompue. Il était parti en tant que paladin de la Main d’Argent, mais c’est en tant que chevalier de la mort aux ordres du Roi Liche qu’il était revenu, à notre grande ignorance. Et sa première action fut de tuer le roi Ménéthil, son père, puis de lâcher son armée de goules et de squelettes sur la population.
Je continuais d’écouter les discussions : dans les rues, le chaos et la panique étaient absolus. Mais des poches de résistances se formaient : nous ne voulions pas abandonner notre foyer aux morts-vivants, quand bien même notre roi était mort, et son fils notre adversaire. C’était la raison pour laquelle les habitants étaient venus chercher mon père.
– Nous ferions mieux de partir, déclara néanmoins l’un des habitants.
– Quoi ? Fuir ? Lâche, vous devriez avoir honte de vous ! hurla Naboo
– Calme toi mon fils. Ce n’est pas le moment d’avoir ce genre d’attitude ! le réprimanda Thomper
– Mais père !
– IL SUFFIT ! Nous avons tous peur Astenaban ! Comprend-le ! Se jeter tête baissée dans la bataille est juste le plus court chemin vers la mort !
– Maître Andorius, intervint un autre citadin, le forgeron Magelan et quelques autres ont formé des barricades aux forges, mais ils ne tiendront pas longtemps. Nous devrions nous regrouper avec eux : ils sont à côté d’un stock de grain qui devrait nous permettre de tenir un moment. Et ils pourront fournir tout le monde en armes !
– Bonne idée, déclara Thomper. Rassemblez vos affaires tous ! Nous allons immédiatement au quartier des forges ! Si nous voulons reprendre la ville, il faut déjà réussir à tenir un quartier.
Le simple trajet jusqu’au quartier des forges faillit nous être fatal. Sur la cinquantaine d’habitant du quartier, moins de la moitié arrivèrent à destination. Nous étions harcelés par les goules durant tout le trajet. J’ai vu des enfants mourir déchiquetés vifs. J’avais moi-même échappé à la mort de justesse grâce à la rapidité de Naboo : il décapita d’un coup d’épée un mort-vivant qui allait me dévorer. Une fois aux forges, nous nous sommes rendu compte que d’autres habitants avaient eu la même idée que nous.
Nous formions la plus grosse poche de résistance de Lordaeron : un peu plus de 400 habitants, enfants, femmes et vieillards compris. Il y avait plusieurs mages, mais Père était de loin le plus puissant. Un paladin et quelques prêtres étaient également parmi nous.
Nous nous sommes organisés du mieux que nous pouvions compte tenu les circonstances.
Naboo et père combattirent côte à côte en tentant de reprendre la cité au Fléau. Les combats étaient atroces, car à chaque homme qui tombait dans nos rangs, ceux du Fléau augmentaient. Et très vite, ils en vinrent à combattre les formes corrompues et mort-vivantes de nos voisins, de nos amis. Mais cette épreuve leur permis de se réconcilier par la même occasion.
Moi, j’étais trop faible pour combattre avec eux, mais je priais tout le temps pour leur victoire depuis les abris au sein des forges. Pendant trois jours, nous avons tenu le quartier. Mais nous perdions des gens chaque jour.
Et c’est au cours d’un ces combats pour défendre les forges qu’Andorius et Astenaban furent grièvement blessés tous les deux. Ils échappèrent de peu à la mort, mais étaient dans un état incertain. Axelus et moi étions à leur chevet. Notre oncle Larniel nous avait rejoins la veille avec un autre groupe de survivant, et il s’occupait de soigner père et Naboo.
– Je ne sais pas s’ils survivront, me confia-t-il. Ils sont vraiment amochés. C’est déjà un miracle qu’ils soient en vie.
– Est-ce que… est-ce qu’ils sont infectés ?… demanda Axelus, qui avait abandonné son sourire niais depuis les premières attaques.
– Je n’en sais rien. Soupira notre oncle. J’espère que non. Ils n’en présentent pas les signes, mais c’est difficile à dire. Il leur faut des soins plus importants et du repos. Si nous restons ici, ils sont fichus.
Je réfléchis à ce qu’il venait de dire. Le soir même, alors que les patrouilles s’organisaient, le paladin de la main d’argent nous rassembla tous. Il était devenu clair à ce moment là que le combat était perdu d’avance.
– Mes amis. Nous avons tenu aussi longtemps que nous pouvions, mais nous devons partir ! Nous avons trop de blessés, et nous sommes épuisés. Si nous restons, nous nous ferons massacrer.
– Vous voulez abandonner la ville ?! s’offusquèrent plusieurs citadins
– Nous n’avons pas le choix ! tenta de les calmer le paladin. Il faut partir !
– Mais pour où ? Où seront-nous plus en sureté ?! Les morts-vivants sont partout !
Mon oncle intervint alors.
– Nous pourrions évacuer vers Hearthglen. C’est une place forte de la Main d’Argent. Il est peu probable que les mort-vivants y soient déjà.
– Vous avez raison Père Larniel, l’appuya le paladin. Ceux qui veulent venir avec nous, dites le nous. Ceux qui veulent rester, nous ne vous en empêcheront pas, mais vous courrez au devant d’une mort certaine…
En dépit des avertissements du paladin, certains des citadins voulurent rester. Ils ne supportaient pas l’idée de fuir la capitale. Ils décidèrent néanmoins que quitte à rester, ils feraient en sorte de protéger les convois d’évacuation.
A cause de leurs blessures, mon père et mon frère furent parmi les premiers évacués. Ils partirent avec le premier convoi, de même que les autres blessés et les enfants, dont Axelus.
J’aurais pu partir avec eux, vu mon état. Mais un déclic s’était opéré en moi quand j’avais vu mon père et mon frère à leur lit d’hopital. C’était à moi de défendre la famille maintenant, et il était hors de question de me dérober à ce devoir. Ainsi, je choisis de rester avec tous ceux encore valides pour essayer de regagner la ville, ou en tout cas permettre aux autres survivants de fuir.
Mais Axelus ne l’entendait pas de cette oreille. Il était accroché à mon bras et pleurait.
– Viens ! Si tu restes ici tu vas mourir ! geignit-il
– Tais toi Ax. J’ai pris ma décision.
– Alors je reste aussi ! Moi aussi j’peux tenir une épée !
– NON ! Tu dois partir avec Père, notre oncle et Naboo ! Et tu dois t’assurer qu’ils iront bien !
– Mais et toi ? Tu vas VRAIMENT mourir ! Tous les autres sont morts ! Je ne veux pas que tu meures !
– T’inquiètes pas. J’ai pas l’intention de mourir ! Pour une fois, je sais ce que je dois faire. Comme dirait père « Fais moi confiance ! »
Mon petit frère n’était absolument pas rassuré. Les arguments de père étaient vraiment mauvais, peu importe qui les disait. Aussi, je décidais d’employer les miens, pour changer
– Ax, même si je meure, promet moi de rester en vie. Et promet moi de ne pas m’oublier, d’accord ? Tant qu’on ne s’oublie pas, personne ne meure vraiment. D’accord ? Promet le moi.
– D’accord… mais je veux pas que tu meures ! répondit-il en séchant ses larmes
Le convoi des survivants réussit à gagner Hearthglen sans réelle difficulté. Le plus dur avait été d’atteindre les portes de la ville. Mais une fois dehors, étrangement, il n’y avait presque pas de mort-vivants. Ce fut la dernière fois que je vis mon père et mes frères.
C’est ainsi que je me suis retrouvé dans les rues de Lordaeron, tenant difficilement une épée, et essayant de rester debout et éveillé… afin d’être aussi prêt que possible lorsque les morts-vivants attaqueraient. Nous n’étions plus qu’une centaine à présent, tous les autres étaient partis.
Et pourtant, je me rappelle avoir ressenti une ivresse peu commune ce jour là. Je me revois encore, imaginant le reste de ma famille en sécurité, en train de penser leurs blessures. Les imaginant à la tête d’une armée prête à reconquérir la ville dans les jours qui suivraient.
Et m’imaginant prêt à les accueillir, gardant les portes de la ville ouvertes pour leur entrée, espérant me montrer digne d’eux et me prouvant que je saurais me rentre utile pour une fois.
Mais tout ça ne serait jamais qu’un rêve.
Jamais aucune armée n’aurait l’occasion de reconquérir la ville.
Les troupes du Fléau attaquèrent le quartier de la ville où je me trouvais le lendemain matin.
La ville entière de Lordaeron fut détruite.
Je fus massacré, comme tant d’autre, et relevé au service du Fléau.
La voix du Roi Liche emplissait mon esprit. Ses ordres étaient mes objectifs. Sa volonté était absolue. Moi aussi je faisais partie du Fléau mort-vivant désormais.
Pour lui, j’ai massacré et tué ceux de mon espèce. Pauvre créature que j’étais alors. Des humains, des nains, des gnomes, des animaux. Tout ce qui était vivant, était systématiquement éliminé, dévoré, déchiqueté.
La seule chose que je reconnais à la vie d’un décérébré, c’est justement sa simplicité. Bonheur et malheur n’existent plus. Seule compte la voix du Roi Liche. Seuls comptaient ses ordres.
Puis un jour, quelques années plus tard, la goule que j’étais devenu fut vaincue, criblée de flèches enflammées par les soldats de la Croisade Ecarlate. Et alors que je perdais connaissance, je pensais que j’allais enfin goûter au repos éternel.
Peut-être mon âme finirait-elle en enfer à cause des crimes que j’avais commis dans la non-mort, mais au moins, elle serait libérée de son tourment et c’était tout ce que je souhaitais au bout du compte.
Mais plus tard, je me suis réveillé, à nouveau.
Ce fut ma renaissance.
J’étais le premier surpris de pouvoir encore bouger. J’avais cru que d’être complètement brûlé m’aurait fait disparaître pour de bon, mais d’une façon ou d’une autre, j’avais survécu. Sauf qu’à partir de cette fois là, il n’y eut… plus rien. Ma tête était vide. J’y étais seul. La voix avait disparu. J’étais libre de mes actes. Libre… libre oui, mais je n’étais plus qu’un mort-vivant, parmi tant d’autre.
Après ce que j’avais vu et vécu, l’humanité me paraissait bien vide de sens. Apprenant l’existence de Sylvanas et de ses réprouvés, je les aie rejoins, et j’ai embrassé la voie des ténèbres, devenant sans vraiment comprendre comment un prêtre des ombres. Et pour une fois, j’étais doué dans mon domaine.
A partir de ce moment là, j’ai arpenté le monde, sous ma forme de mort-vivant. Croisant des humains. Les regardant haïr ce que j’étais devenu, ne faisant aucune différence entre les réprouvés et le Fléau. Les tuant. Parfois pour me défendre. Parfois pour ma Reine. Parfois pour rien. Pour essayer de me rappeler ce que pouvaient être les remords, ou pour essayer d’éprouver du plaisir par le sadisme… La souffrance était mon lot quotidien, mais les sentiments, eux, n’étaient plus que des chimères absurdes et abstraites. Mon cœur ne battait plus. Mon âme était glacée. Je n’éprouvais à cet instant précis plus rien.
Le temps a passé, et j’ai survécu. J’ai fait des rencontres.
Azeroth est un monde dangereux, et s’il y a une chose dont j’ai toujours bénéficié, même de mon vivant, c’était bien du bon sens. En plus d’être un réprouvé, j’ai donc rapidement rejoins une guilde.
La seule guilde de ma non-vie. Les Bloodlust.
Des trolls, des orcs, des taurens et des réprouvés.
Aucun préjugé. Aucune question sur le passé.
Une confiance réciproque et une loyauté sans faille après des amis.
Une haine fédératrice et une absence totale de pitié envers tous nos ennemis.
Et surtout un nouveau foyer dans mon existence.
Je me suis longtemps demandé si mes frères et mon père avaient survécu, ou s’ils avaient péri à Hearthglen. Je les aie cherchés pendant longtemps après ma renaissance. Mais nulle trace d’Andorius, Axelus ou Astenaban Wiseman. La famille semble s’être volatilisée. Et puis j’ai fini par entendre parler d’un « Naboo ». Je le cherche toujours à l’heure actuelle. Etais-ce Astenaban ? Ou n’est-ce qu’une cruelle coïncidence ?
Tout semble porter à croiser qu’ils sont morts depuis longtemps, mais au fond de moi, je sais qu’ils sont vivants. Je sais qu’ils arpentent toujours ce monde. Et je sais aussi qu’un jour je les reverrai. Et je ne peux m’empêcher de sourire, en imaginant leurs visages lorsque nous nous rencontrerons. Est-ce que ce sera sur un champ de bataille, ou dans une taverne ? Me reconnaîtront-ils ? Et quand bien même, que feront-ils alors ? Ces retrouvailles… je les attends avec impatience.
Peut-être auront-ils la force de me libérer enfin de ma condition. Ou peut-être prendrais-je plaisir à leur montrer ma nouvelle force. Peut-être les emporterai-je avec moi dans la mort. Peut-être les ferais-je souffrir pour qu’ils sachent ce que j’ai souffert, et ce que je souffre encore ?
Quoi qu’il se passe ce jour là, ça sera forcément une bonne journée. Une journée que j’attends avec impatience. Mais avant de pouvoir revoir enfin ma famille, il me faut gagner plus de puissance, car s’il y a bien une chose que je compte leur montrer, c’est que je n’ai plus rien en commun avec la faible créature que j’étais de mon vivant.
Et c’est ce que je ferai.
Car un jour, je le sais, je les reverrai.
Même aujourd’hui, alors que je sais que ce que je viens d’écrire est mon histoire, je ne ressens rien. Ni nostalgie, ni regrets, ni joie. Rien du tout. En fait, pour être honnête, j’ai simplement l’impression qu’il s’agit de l’histoire d’un autre.
Mais me rappeler mon passé n’aura pas été inutile. Cela m’aura surtout permis de comprendre à quel point j’ai changé. Dans mon âme, et dans mon cœur, si tant est que cela veuille encore dire quelque chose, je ne suis plus un Wiseman. Je ne suis plus que Luther. Rien que Luther.
Extraits du Journal de Luther,
Prêtre des ombres, au service de la Dame Noire.