1er jour
Un peu plus de 5 années se sont écoulées depuis que les races mortelles se sont alliées pour faire face à l’avancée de la Légion Ardente.
Azeroth a été sauvé, mais le fragile pacte qui unissait la Horde et l’Alliance n’a pas survécu. Une fois encore, les tambours de guerre résonnent.
Des batailles ont éclaté dans le monde, les tensions sont palpables. A côté de ça, la Légion cherche probablement à obtenir sa revanche, et le Fléau mort-vivant attend également son heure.
C’est dans ce contexte que je me décide finalement à écrire un journal, dans lequel seront notées mes pensées afin de ne pas en perdre toute trace.
Je me nomme Luther, prêtre des Ombres, au service de la Dame Noire. Ceci est l’histoire de mon âme, et probablement la seule trace écrite qui puisse jamais prouver que j’ai un jour existé.
2ème jour
Je suis un mort-vivant. Plutôt bien conservé d’ailleurs, en comparaison de certains autres.
Mais la joie que procure le fait d’être un mort-vivant est nulle. En fait, tout sentiment d’ordre positif est, quand on est un mort-vivant, pour ainsi dire inexistant.
C’est un fait plutôt simple à énoncer, et pourtant il m’a fallu des années pour l’admettre. L’objectivité a toujours été mon point fort, mais l’introspection déjà beaucoup moins. (cela dit, j’espère que la tenue de ce journal me permettra de remédier à cela.)
Il est facile de voir les souffrances et les satisfactions des autres. Il est autrement plus dur de voir les siennes. Surtout quand, comme c’est notre cas, nous voyons la vie en nuances de gris.
Les couleurs me manquent parfois, mais je me suis fait à leur absence. Etre mort-vivant ne procure aucune joie, aucune satisfaction d’aucune sorte, et en fait c’est même plutôt le contraire : n’être ni mort ni vivant ne réussit qu’à nous plonger dans la mélancolie, la tristesse, la morosité, et au bout du compte la folie, parce qu’on ne peut pas faire la gueule tout le temps et rester sain d’esprit, hélas.
Pourtant, peu d’entre nous ont conscience d’avoir perdu la capacité de ressentir des émotions positives, et, en conséquence, non-vivent plutôt bien. Ce sont ces mêmes qui pensent encore voir les couleurs.
C’est un mystère que je n’ai toujours pas compris. Ce qui est clair, en revanche, c’est que ceux des morts-vivants qui se disent heureux, qui prétendent ressentir du plaisir, de la joie, ne sont que des menteurs. Et bien souvent, ils se mentent avant tout à eux-mêmes.
Nous nous souvenons de la joie, mais nous ne pouvons plus l’éprouver.
Nous nous rappelons du plaisir, mais nous ne pouvons plus l’apprécier.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est aller le moins mal possible. Ne pas nous poser trop de question. Vivre au jour le jour. Car tout ce qui tourmente l’âme nous affecte beaucoup plus que les vivants.
Notre âme, c’est tout ce qu’il nous reste. Elle est torturée, brisée, morcelée, parfois même elle nous a été volée et nous n’avons plus que son souvenir. Mais c’est notre moteur, notre force.
C’est lorsque j’ai compris cela que j’ai cessé de craindre. De craindre de revenir un décérébré, aux ordres du Roi Liche. De craindre que la vraie mort ne soit synonyme pour nous autre de damnation, ou pire, d’anéantissement.
Et ensuite, certains pensent qu’en échange de la crainte, nous avons obtenu la foi ! La foi dans les ombres, dans les ténèbres, dans notre reine non pas bien aimée (nous sommes incapables d’aimer encore une fois) mais respectée et vénérée. (Note : il est important de comprendre la différence entre un sentiment, et, disons, une croyance. L’amour, est un sentiment positif. Nous ne pouvons l’éprouver. La haine un sentiment négatif, nous ne pouvons que la réfréner. Le respect et la vénération en revanche tiennent de la croyance. Et bien que damnés, nous pouvons croire, et donc respecter et vénérer de façon continuelle et absolue. Ce qui convient tout à fait à nos supérieurs)
Les plus convaincus d’entre nous sont généralement appelés à devenir des prêtres, et à prêcher la parole sombre de Dame Sylvanas.
Et moi dans tout ça, je suis un prêtre, mais je n’ai pas la foi, et niveau conviction je frise le zéro absolu.
D’ailleurs, ça aussi, c’est un grand mystère. Pourquoi suis-je prêtre ? Pourquoi ? Je ne respecte ni ne vénère personne à part moi, je ne ressens rien pour les autres non plus. En fait, si je pouvais carrément éviter leur contact, ça m’irait tout à fait.
Mais au lieu de ça, on m’a confié, au nom de Dame Sylvanas, la mission douteuse de m’adresser à la population de Brill, et honnêtement, je m’en serai bien passé.
En plus, c’est le genre de mission que je déteste. Une mission de communication : pondre un joli discours afin d’aider nos nouvelles recrues à accepter leur condition de mort-vivant et de leur faire comprendre qu’être un mort-vivant libre, c’est cool, et que donc il faut se battre pour le rester. Plus facile à dire qu’à faire on est d’accord. Tant pour moi, et mon discours, que pour les nouvelles recrues à assimiler d’ailleurs.
Comble du malheur, je dois le faire pour demain, et j’ai aucune foutue idée de ce que je vais leur dire ! Moi qui croyait être exempté de travaux scolaire dans la non-mort, c’est tout le contraire… Je n’aurais jamais du leur laisser savoir que je savais lire et écrire. Au moins, les orcs, ils ne m’ont jamais embêté avec ce genre de truc.
Cela dit… maintenant que je cherche les mots pour leur parler, je ne peux m’empêcher d’envier les “jeunes” réprouvés qui nous rejoignent. Je suis loin d’avoir eu la chance qu’on me fasse un discours pour me remonter le moral. A la sortie du caveau, j’étais seul, et il a fallu que je me débrouille par moi-même un long moment… Tuer du zombie, tuer du zélote… faire mes classes quoi.
Mais c’est grâce à ça que je me suis endurci, et que j’arrive aujourd’hui à voir le monde tel qu’il est, sans me mentir, et à l’accepter. Enfin je crois.
Dans ces conditions, c’est difficile de mentir effrontément aux autres. De leur faire croire qu’ils peuvent aspirer au bonheur et au repos comme les vivants. De les aider à voir le monde en… autre chose que gris. Parce que je sais très bien qu’il n’en sera jamais ainsi. C’est la pilule amère que nous devons tous avaler si nous voulons avancer.
Et puis en plus, même si ça va faire mesquin, j’ai du mal à voir pourquoi je devrais aider à accélérer le parcours des nouveaux arrivants. Sur le long terme, ça les rendra juste fragiles, j’en suis sûr. Et puis ça va encore être n’importe quoi de toute façon. Ils vont rien comprendre, et ça aura juste été du temps de perdu.
Déjà la semaine dernière il avait fallu apprendre à des novices à dévorer des corps, et ça avait été une catastrophe : pas un qui ne trouve comment faire, et une jeune démoniste a même failli s’évanouir à la vue du soldat écarlate dont j’avais arraché les entrailles. La « nouvelle génération », c’est vraiment pas ça en fait. Aucun instinct, faut tout leur expliquer sinon ils sont pas fichus de le trouver eux-mêmes, et même avec les explications ils se plantent une fois sur deux. Pour un peu, ils seraient capables d’en oublier d’aller voir les instructeurs pour apprendre de nouveaux sorts et techniques régulièrement. (Note : ne pas oublier de me moquer de Modig à l’occasion.)
Enfin bon, ce n’est pas à moi qu’il revient de critiquer ou de prendre ce genre de décisions… « éducatives ».
« Je ne suis que celui qui exécute », comme le disent si bien certains de mes confrères.
Mais n’être qu’un exécutant, ça me gonfle, et ça m’a toujours gonflé et tel que je me connais ça me gonflera toujours ! Prêtre ou pas prêtre, je ne suis pas qu’une ombre !
Je suis Luther, pêcheur par passion, ingénieur de confession, râleur par conviction, et prêtre par… euh… par obligation ? Défaut d’affectation ? Et merde, faudra que je trouve une meilleure chute àcette formule.
…
Mais pourquoi je suis prêtre non d’un chien ?! J’aurais pas pu avoir le talent de… de… euh… guerrier et voleur, c’était hors de question. Druide et shaman, j’ai pas vraiment le profil. Et mage et démoniste, ça m’a jamais branché… chasseur j’ai horreur des bestioles, et paladin n’en parlons même pas, sinon ça va finir en engueulade. Pourquoi pas un des chevaliers de la mort du Fléau tant qu’on y est ? D’ici à ce qu’ils nous rejoignent ceux là, on est jamais à l’abri d’un accident comme disent les gobelins.
…
Ah ouais, donc en fait, si ça se trouve, je suis prêtre parce que je pouvais rien être d’autre. A part la pêche et l’ingénierie. Tu parles d’une consolation.
Nan mais ça peut pas être ça, ça serait trop gros quand même.
Un jour, faudra que je me penche vraiment sur ce problème.
D’ici là, faut que je finisse ce fichu discours, ou sermon, ou quel que soit le nom donné !
Dommage que Drio soit plus là. Lui au moins, il savait écrire des conneries tout en y croyant…
Peut-être que leur raconter son histoire serait un discours acceptable ? … Mouais, non. Personne ne trouvera ça crédible de toute façon. Ils ne sont pas si crédules.
« Luther, c’est à vous dans deux heures, vous serez prêts ? »
« Oui, ne vous inquiétez pas magistrat, je serai prêt, aucun problème »
Ca, c’était le magistrat de Brill qui s’inquiète. Il me voit fulminer depuis quelques heures, et passe régulièrement voir si j’avance. Tu parles que je serais prêt. Je crois que je vais y aller à l’impro en fait. Ca va encore être mal perçu, et je vais sûrement me faire virer avant la fin, mais bon, tant pis. J’assume. Et puis au moins, ça sera authentique.
L’authenticité, y’a que ça de vrai.
…
Monde de merde !
Note : Il faut que je fasse attention à mes changements d’humeur… ils me rendent parfois pathétiquement râleur. Patience. Discipline. Il n’y a que comme ça que je conserverai ma santé mentale.
Extraits du Journal de Luther, Prêtre des ombres, au service de la Dame Noire.