193ème jour – 1ere Partie
Aujourd’hui fut un jour très particulier. Un jour inattendu pour tout dire. Je dois bien avouer que je n’aurais jamais cru retomber sur lui en de pareilles circonstances. Le hasard fait parfois bien les choses… et il a aussi un sens de l’humour très plaisant.
Il me faut raconter cette journée dans les moindres détails, il s’est passé trop de chose, et je dois tout noter. Peut-être cela me servira-t-il par la suite, on ne sait jamais.
Commençons par le début de la journée. Commençons… par la poussière, et ce qui m’avait amené à y être confronté.
J’étais en poste à Kargath depuis plusieurs semaines avant de recevoir ma mission. Pas par plaisir, et encore moins par intérêt. Nan, si j’étais là, c’était en guise de punition. Mon dernier… foirage, lors de l’attaque ratée des ruines d’Ahn Quiraj, en Silithus, m’avait valu un blâme.
Je ne peux pas trop en vouloir aux officiers à vrai dire, car il était mérité : j’avais été trop … hem … disons que de supporter la discipline militaire de Céline au sein du groupe des soigneurs n’avait pas aidé à ce que je garde toute ma vigilance. A cause de cela, je n’avais pas vu les insectes qui étaient tapis à quelques mètres de moi avant qu’il ne soit trop tard. Lorsqu’ils ont senti ma présence, les silithides se sont réveillés, et ont attaqué notre raid. Nous avons vite été débordés par le nombre.
Heureusement que Luminelle et Amildur avaient été là ce jour là, sinon nous y serions peut-être tous resté. On s’en était sorti de peu, mais on s’en était sorti.
Mais… hem… Disons qu’on ne s’en était pas sorti de très bonne humeur vis-à-vis de moi.
Et bref, j’étais bloqué à Kargath, en plein cœur des terres ingrates qui décidément portent bien leur nom, à surveiller la poussière… En soit, faire de la surveillance ne me dérangeait pas trop. Au moins, j’étais au calme et je pouvais passer mes journées à réfléchir tranquillement. Mais dans la poussière, ça c’est autre chose.
La poussière, quand on est mort, ça devient vite problématique : ça s’infiltre partout. Dès qu’il y a un pore, un orifice, une ouverture quelconque, la poussière arrive. A la limite, le sable, c’est moins embêtant parce que c’est assez lourd et facile à nettoyer : un peu d’eau, et hop, c’est parti. Tandis que la poussière, pour une obscure raison, elle s’attache aux chairs en décomposition. Elle nous… momifie, en quelque sorte. Y’en a qui adorent, moi je déteste : je me sens comme une machine dont les rouages sont grippés. Le moindre mouvement est ralenti et gêné, bref, c’est pénible. Et ça, Amildur le savait très bien quand il a choisi mon blâme.
Au bout de dix-sept jours de ce traitement, je commençais à être recouvert d’une couche brunâtre. C’est à ce moment que je vis arriver un guerrier Tauren au campement.
Comment je savais à ce moment là que c’était un guerrier ? Simple : il en avait l’allure, l’équipement, et surtout le comportement. Il fonçait. Mis à part la ligne droite, on se demandait s’il connaissait d’autres façons d’avancer. Du haut de ma tour de guet, j’en venais à me demander s’il allait réussir à passer par la porte du bastion ou s’il allait la rater et passer par un des murs. Y’en a qui le font et que ça n’a pas l’air de gêner. Mais à ma grande déception, il ne fit rien d’aussi intéressant : il se contenta de parler à l’un des gardes orcs au sol, devant le bastion, lequel garde montra du doigt ma tour avant de reprendre sa ronde. Le tauren sembla le remercier, puis se tourna vers la tour de guet et la contempla dans toute sa hauteur.
C’était donc pour moi qu’il venait. Je sorti ma longue vue et constatais qu’il portait le tabard Bloodlust. Une chose pour moi était évidente : je ne le connaissais pas. C’était donc une nouvelle recrue. Pour l’avoir envoyé me chercher, c’était soit que quelqu’un s’amusait à le bizuter, soit que le message était important pour nécessiter d’être donné en main propre.
Un brin curieux, j’attendis qu’il monte dans la tour. Il était anormalement timide et réservé pour un guerrier, et me demanda très poliment avec sa voix caverneuse : « Excusez moi, vous êtes Luther ? »
Je ne pu m’empêcher de pointer du doigt vers là d’où il venait et de répondre : « Ah, non, c’est à côté. »
Bien évidemment, il regarda dans la direction pour voir s’il y avait quelqu’un d’autre, fouilla toute la tour de guet, et revins me voir cinq minutes après, encore plus embêté qu’auparavant.
« Hum. Excusez moi encore, mais je ne trouve le trouve pas, monsieur Akauté ».
Pour le coup, c’est moi qui aie mis quelques secondes à comprendre sa phrase. C’était bien un guerrier, pas de doute. Tellement bêtes qu’ils font baisser la moyenne d’intelligence de l’entourage, et qu’ils prennent tout au premier degré. Mais bon ils savent donner et prendre des beignes mieux que quiconque, donc au fond, on leur pardonne volontiers. Soupirant, je mis donc fin à son calvaire intellectuel.
– Bah, c’est bon… C’est moi Luther. Qu’est ce que tu veux ?
Le Tauren réfléchit une seconde
– Vous n’êtes pas Akauté ?
– Hein ? Non, c’était une blague ça. Humour. Second degré.
– Oh.
Il avait l’air en pleine réflexion, donc je l’aidais un peu.
– Voilà. Donc, oui, je suis Luther. Qu’est ce que tu veux ? tout en le jaugeant du regard, j’ajoutais, insistant : Je ne me rappelle pas t’avoir déjà croisé.
– Je suis Torfarlak. Je… je suis nouveau, je crois.
Tant d’hésitation chez quelqu’un d’aussi imposant, ça finissait par devenir déstabilisant.
– D’aaaaaccord. Torf, c’est ça ? Bon, et qu’est ce qui t’amène dans ce merveilleux, et poussiéreux endroit qu’est Kargath ?
– Chef Telynoar m’a demandée de vous remettre cette lettre.
Et sur ce, il me tendit une lettre froissée, qui portait encore le sceau Bloodlust intact. Je pris la missive, et commençais à la lire. Du coin de l’œil, j’observais Torfarlak pendant ma lecture. Il était vraiment mal à l’aise. Qu’est ce qu’ils lui avaient dit pour le mettre dans un état pareil ? Ca ne pouvait quand même pas être son état normal ?! En fait, la réponse était à la fin de la fameuse lettre :
« PS : Sois sympa avec Torf, on lui a dit que tu éviscérais les gens quand tu étais grognon, et que tu devenais grognon toutes les cinq minutes. Vu qu’Amildur, Malcorne et Khomtarokh ont appuyé cette version, il est terrifié rien qu’à l’idée de venir te voir. Mais à côté de ça, c’est une bonne recrue, et il est fiable. Bisous. Tely.
PSS : C’était pour rire hein. On ne pensait pas qu’il nous prendrait au pied de la lettre. Désolée.»
Telynoar, désolée ? Elle savait très bien ce qu’elle faisait, et les autres aussi d’ailleurs ! J’aurais le temps de penser à une petite revanche plus tard. Pour l’instant, y’avait plus important. La mission demandée dans la lettre s’annonçait difficile. Histoire d’être sur de ne pas en oublier un passage, je la relis deux autres fois, en prenant bien soin de ne pas adresser un regard à Torf qui commençait à suer à grosses gouttes. Puis, tranquillement, je pliais et rangeais la lettre dans une des poches de ma robe.
– Torfarlak. Tu es chez Bloodlust depuis ?…
– D-Deux semaines. Chef.
– Laisse tomber le « Chef » avec moi. Militairement parlant, j’ai jamais été au-delà du grade d’éclaireur. Néanmoins, première question : as-tu lu cette lettre avant de me l’apporter ?
– N-Non ! Bien sûr que non ! Je n’aurais pas osé !
Évidemment qu’il n’aurait pas osé. Pas après ce que les autres avaient raconté. Au final, y’avait un peu de bizutage quand même.
– Bravo ! Tu as très bien fait. La lire, ça aurait été une mauvaise idée, ça aurait tout gâché.
Torfarlak se détendit. J’enchainais :
– Mais comme les blagues les plus courtes sont les meilleures, retiens bien ceci pour la prochaine fois : TOUJOURS lire les documents que Telynoar donne, au cas où.
Comme il était devenu perplexe, j’expliquais mon propos :
– Une fois sur deux c’est une blague ou une mission suicide. Parfois c’est même les deux à la fois. Mais bref, c’est rarement sérieux, donc dans le doute, vérifie ! Et c’est valable aussi pour les messages des autres officiers Bloodlust, hein, y’a pas que Tely qui es capable de ça. Surtout si les messages donnés sont dans des lettres scellées ! Assez paradoxalement, les officiers mettent plus d’énergie et de sérieux à perfectionner leurs blagues qu’à préparer les missions. Donc si tu veux vivre vieux et avoir plein de petits… euh… veaux ?… ben faut savoir ruser un peu. Je te filerai les tuyaux pour réparer la cire, plus tard. C’est pas très compliqué tu verras.
Je le sentais un peu perdu. J’aurais peut-être pas du employer des mots compliqués comme « paradoxalement ». D’habitude c’est comme ça que je bloque mon auditoire. Mais son instinct ne fonctionnait pas trop mal puisqu’il comprit que c’était à ce moment qu’il fallait hocher la tête, ce qu’il fit.
– Bon, détend toi un peu. Je ne vais pas te tuer. Enfin, pas tout de suite quoi. Je suis de bonne humeur pour l’instant. T’es pas trop fatigué ?
– Non, pourquoi ?
– Parce qu’on reprend la route tout de suite ! Direction le Trépas d’Orgrim. On va retrouver le reste du groupe là-bas. Et plus vite on y sera, mieux ça vaudra. Tu as un bon timing en tout cas : quelques jours de plus dans cette poussière, et j’aurais été irrécupérable. Même les poudres spéciales des gnomes pour laver le linge n’auraient rien pu faire !
Tout en parlant, je m’étais levé et commençait déjà à descendre de la tour. Torfarlak quant à lui était resté sur place, et avait gardé le silence. Quelques secondes après, il demanda timidement :
– Euh… on rejoint un groupe ? Je… je dois rester avec vous ?
Ce qui me bloqua net dans mon élan.
Il me revint à l’esprit que Torf avait été envoyé à Kargath en lui faisant croire qu’il servait juste de messager. Je me chargeai donc rapidement de lui exposer la situation.
– Torf, il faut que tu saches que tu n’as pas été envoyé ici juste en tant que messager.
– Non ?
– Non.
– Oh.
– Eh oui.
– Euh… alors en tant que quoi ?
– Eh bien, disons qu’on va travailler tous les deux en mission pendant quelques jours. Côte à Côte. En binôme si tu préfères.
Il devint blanc comme un linge en entendant ça. Je ne savais pas si je devais en être vexé ou flatté.
– Il n’y a pas de raison que ça se passe mal, le rassurais-je. Tu n’auras qu’à suivre mes ordres, et tout ira bien.
– D-D’accord. Euh… si l’ordre est de mourir pour vous permettre de survivre, je le suis quand même ?
Tiens. Voilà qui était assez inattendu comme réponse. Je le terrifiais, mais visiblement il me pensait aussi capable de coup en traître. Notons qu’il n’avait pas forcément tort. Mais j’avais dans l’idée que le Post-Scriptum de Tely ne donnait pas tous les détails…
– Hmm… Laisse-moi voir… Techniquement, comme je suis « déjà » mort, plus besoin de se sacrifier pour ma vie, donc ça devrait aller.
Mais ça n’avait pas l’air d’aller du tout pour lui, et maintenant il fixait l’horizon en tremblotant, avec un peu de mousse aux lèvres. C’était assez navrant comme état. Et pire, ça commençait à m’énerver.
– TORFARLAK ! Tu arrêtes d’avoir les pétoches tout de suite, ou je vais vraiment t’éviscérer pour le coup, et ça ne sera pas une blague potache de Tely cette fois ! Compris ?
– O-Oui. Euh… c’est quoi une blague « potache » ?
Quelques secondes de silences s’imposaient. Après, j’ai repris, une fois calmé :
– T’as pas été gâté toi, hein ? soupirais-je.
– Je sais pas. Ma m’man m’a toujours dit que je devais pas me poser trop de questions.
– Une sage fe— euh… « taurène ». Mais tu l’as peut-être prise un peu trop au pied de la lettre. Allez, viens, on décampe. T’es déjà allé au Trépas d’Orgrim ?
– Oui, une fois, il y a quelques mois.
– Bon, donc tu pourras guider la Wyvern jusque là bas. Parfait. Ça m’aurait vite tapé sur le système de passer par le Loch Modan et les Paluns à pied. Je déteste cette région. Bourrée de nains, de dragons, de crocolisk et de marais.
– J’aime pas les nains non plus.
– Normal, personne n’aime les nains.
Et sur ces bonnes paroles, nous louèrent des Wyverns, et nous envolèrent…