148ème jour – 3eme Partie
Je sentais bon nombre de mes camarades qui se demandaient s’il ne serait pas plus sage de reporter l’attaque à demain. Oui, demain était toujours un jour meilleur. Puis une personne sortit des rangs, et commença à parler :
– Bon, c’est pas très grave cette histoire de tailles, on va se débrouiller. déclara Céline.
Céline était une prêtresse réprouvée. A l’inverse de moi, c’était une guérisseuse. Mais il serait dangereux, pour ne pas dire suicidaire, de la croire inoffensive tout ça parce qu’elle était plus douée pour soigner les gens que pour les tuer. Avec une autorité sans faille et sans pitié, elle avait dirigé pendant un temps la section des soigneurs de la guilde. L’existence de ceux qui étaient alors sous ses ordres était tellement difficile qu’ils tombaient en dépression nerveuse, souffraient de crises d’angoisse et de panique à sa simple vue, et finissaient la plupart du temps aux urgences, morts de fatigue. A la fin, elle avait fini par démissionner du poste parce qu’elle en avait marre de commander une équipe de bras cassés. Mais son règne de terreur avait laissé des marques indélébiles sur la guilde. Aussi, c’est avec crainte et déférence que tout le monde se tourna vers elle, craignant que le remède qu’elle allait proposer ne soit pire que le mal…
– Bon, les morts-vivants, mettez vous à deux sous chaque caisse. On sera serré, mais avec un peu de travail d’équipe, ça va rouler. Les orcs, changez rien. Entraînez vous à ramper silencieusement, ça sera déjà pas mal. Les taurens, mettez vous en rang, avec vos caisses sous la tête ! Zoggy-chou ? T’es où ? Ah ! Te voilà !
Zoggy venait juste d’être invoqué, et découvrait à son tour la salle. En voyant Céline l’appeler, il s’approcha. C’était un autre des guerriers phare de notre guilde. Ancien chef de guilde lui-même, il était impressionnant, calme, et partageait un lien très étroit avec Céline, qui l’appelait toujours « chou ». Personnellement, je ne m’y serai jamais risqué. Je tiens encore assez à mon existence pour ça.
Et il est toujours accompagné par une bestiole horrible, un « Suinteux Dégoûtant ». Je crois que c’est le nom exact. Pour moi, c’est juste une boule de bave et d’acide vivante comme on en rencontre dans les zones toxiques. Mais pour une obscure raison, celle là s’était pris d’affection pour Zoggy. Mais Céline ne la portait pas dans son cœur, si tant est qu’elle en aie jamais eu un.
– Range cette bestiole, elle est en train de dissoudre ta caisse. Lui reprocha-t-elle autoritairement.
– Grumpf. Mais je l’aime bien moi… tenta futilement le guerrier.
– Discute pas ! Va voir Pomme-Carotte, et faites des trous dans vos caisses et celles des autres taurens pour les yeux. Entre les fourrures des caisses et vos poils, ça devrait suffire niveau camouflage. Les voleurs et les druides, oubliez les caisses, et faites vous juste le plus furtif possible. De toute façon, fait sombre dehors, et c’est des nains qu’on doit duper, donc ça devrait faire l’affaire. ET QUE CA SAUTE BANDE DE FEIGNASSES !
L’ordre fut donné sur un tel ton que tout le monde réagit au quart de tour, Myrdinn et Amildur compris. Bon, c’était loin d’être parfait, mais il faut reconnaître qu’il y avait un progrès. Je partageais ma caisse avec Erinye, ce qui me convenait tout à fait.
Une fois les caisses des orcs et des taurens « ajustées », le raid était prêt à partir en guerre. Il était temps de faire la dernière pause avant le combat. Avec quelques feux de camps improvisés. J’en profitais pour discuter quelques minutes avec le shaman Khomtarokh, que je comptais parmi mes rares amis, et comme une personne de confiance à qui l’on peut parlé sans détour. Ce que je fis.
– Khom, j’espère que tu as des ankhs de résurrection sur toi, parce qu’à mon avis, on va foirer en beauté. C’est pas les réglages de caisse de dernière minute qui y changeront grand-chose.
Il soupira et roula des yeux avant de me répondre.
– Soit pas négatif Luther. T’arrêtes pas de râler depuis tout à l’heure. On a déjà été dans des situations plus périlleuses non ? Tu te rappelles le Cœur du Magma, non ? On a failli tous y rester le jour où Alakar a éternué et que son écho nous a fait repérer par la moitié des élémentaires des alentours.
– Oui… tu n’as pas tord… en y repensant, je ne comprend toujours pas comment on a survécu à ce jour là… Ni comment Alakar a réussi à prendre un coup de froid dans un volcan… Fichu chasseur tiens…
– Bah, c’est pas pire qu’Malcorne qui confondait sa droite de sa gauche hein.
– C’est sûr. Cela dit, c’est pas en évoquant ces doux souvenirs que tu vas me rassurer, tu sais ?
Khom leva le doigt et s’apprêta à répondre quand Céline se mit à crier à l’autre bout de la salle.
– POOOOOMME ! Tu peux venir ? Genre MAINTENANT ?
– O-Oui, j’arrive tout de suite. Lui répondit-il.
Se tournant vers moi, il s’excusa de devoir partir.
– T’inquiètes, le rassurais-je, Ne la fais pas attendre. Je n’ai pas envie de te retrouvé découpé en plusieurs morceaux pour l’avoir mise en colère. Cela dit… pourquoi elle t’appelle Pomme-Carotte tout le temps ?
– Elle le faisait déjà du temps de la guilde de Zoggy. Khom soupira, puis repris. En fait, je crois qu’elle n’a jamais réussi à mémoriser mon nom… donc Pomme, c’est plus simple. Bon allez, à plus. Et ne t’inquiètes pas trop. On survivra à ce raid.
Je le suivi du regard, pas vraiment convaincu par cette dernière phrase. Il semblait à la fois résigné et amusé. Etrange… comme si finalement, il ne trouvait pas si désagréable ce genre de situation. Céline lui donna un certain nombre de potions, puis appela une autre personne. On m’avait déjà donné les miennes. Myrdinn se leva, et fis le rappel des troupes.
– Chers Bloodlusts, il est temps d’y aller. Tous sous vos caisses, et suivez bien le plan ! On commence par le roi des nains, et si c’est possible, on enchaîne sur le roi des gnomes histoire de faire d’une pierre deux coups. Vous êtes prêts ?
– OUI CHEF-SEIGNEUR-MAÎTRE MYRDINN !
– Bon, ben alors go.
Et il en fut ainsi. De par leur furtivité naturelle, c’est les voleurs qui sortirent les premiers de la maison, suivis de prêts par les druides. Myrdinn s’enquit rapidement de la situation à l’extérieur.
– C’est bon les gars ?
– Rien à signaler côté nord, la voie est libre annonça Waldar.
– Au sud c’est pareil, confirma Amildur.
– Et la voie ouest ? Tu vois quelque chose Tely ?
Un silence.
– Tely.
Pas de réponse.
– TELY. Insista Myrdinn
Toujours rien.
– Ami, va réveiller Tely s’il te plaît. Elle s’est encore endormie.
Telynoar souffrait en effet d’une forme de narcolepsie très particulière : elle pouvait s’endormir à tout instant, mais seulement quand c’était susceptible de foutre la merde dans le raid et de provoquer des morts par accident. Le reste du temps, elle tenait une forme olympique. Avec l’habitude et les années, les officiers avaient fini par gérer ce détail. Ami griffa donc violemment Telynoar, ce qui la sorti de sa torpeur. Un peu trop vivement d’ailleurs.
– HEIN ?! Quoi ?! Non ! C’était pas moi ! J’étais en train d’étendre le linge je vous dit !
– Chuuuuuuuuut ! Idiote de voleuse ! Braille pas comme ça, tu vas nous faire repérer !
– Oups. Désolé.
Amildur grogna un coup, puis s’adressa à Myrdinn
– C’est bon, la voie est libre à l’ouest, vous pouvez tous sortir de la maison, y’a personne.
Et le défilé des caisses à fourrures commença alors…