148ème jour – 1ère Partie
Après des semaines de préparation laborieuse, secrète, et incompréhensible, le grand jour était finalement arrivé.
Aujourd’hui devait être un jour historique. Il aurait du voir la prise de Ironforge par la Horde. Les têtes du roi des nains, Magni Bronzebeard, et du roi des gnomes, le Grand-Bricolleur Mekkanivelle auraient du tomber.
Bref, ça aurait du être un joli massacre, bien gratuit, et sans autre but que d’inspirer la terreur chez nos adversaires. Bon, et peut-être aussi que ça aurait relancé une guerre ouverte entre la Horde et l’Alliance, mais franchement, au point où on en est de toute façon…
Malheureusement, tout ne se déroule jamais comme prévu. Surtout chez les Bloodlust. J’aurais du le savoir pourtant, depuis le temps que je suis au sein de cette guilde.
Ah, les Bloodlust… A la base, je les avais rejoins par intérêt pour augmenter mes chances de survie. Et aujourd’hui, ils sont ce qui est le plus proche d’une famille pour moi. Mon ancienne famille, du temps où je vivais encore, m’est finalement bien plus indifférente.
En fait, je pense qu’en termes d’allégeance, Bloodlust doit arriver en 3ème position de ma loyauté personnelle. La première place m’étant réservée, et la deuxième à la Dame Noire, bien évidemment. Quoi que nombre de réprouvés auraient sans doute envie de m’arracher la tête s’ils savaient que je me fais passer avant Sylvanas… Mais je m’égare. Revenons donc au plan prévu : le raid de la Horde Bloodlustienne sur Ironforge.
Avant tout, il faut savoir que Ironforge est une ville forteresse, bâtie par les nains, au cœur des chaînes montagneuse de Dun Morogh, et qui n’a en tout et pour tout que deux entrées : ce qu’on peut appeler « la porte principale », donnant directement sur les plaines enneigées et glacées des environs, et le « passage souterrain », lié au Tram-des-Profondeurs qui relie Ironforge à Stormwind. Autant dire que dans un cas comme dans l’autre, l’infiltration est délicate. Des deux options, chacune a ses avantages et ses inconvénients, qu’il serait trop long de détailler ici.
Passer par la « porte principale » fut la solution retenue à l’unanimité lors de la réunion briefing au campement Bloodlust, et ce pour deux raisons :
Déjà, c’était la plus simple, en termes de concept : il ne faut pas oublier que le raid rassemblait surtout des troll, des taurens et des orcs, et qu’aucune de ces trois races n’est connue pour abriter les plus grands cerveaux d’Azeroth. Donc pour augmenter les chances de succès, autant employer une tactique compréhensible par tous : « On fonce et on défonce », c’est universel et ça a fait ses preuves.
La deuxième raison, c’est que l’autre solution aurait impliqué d’infiltrer Stormwind en premier pour pouvoir infiltrer Ironforge, et là, ça faisait beaucoup. A ce compte là, autant lancer un raid sur la capitale humaine…
Bon, et il y avait aussi une troisième raison : à savoir que passer par la grande porte, ça dénote quand même un certain culot, ainsi qu’une tendance au suicide non négligeable, et rien que pour ça, je suppose qu’il fallait le tenter.
Mais ce qui aurait du me donner la puce à l’oreille quant au fait que ça allait inévitablement foirer, c’était l’idée d’Amildur de nous cacher sous des caisses en bois, elles mêmes recouvertes par des peaux de phoques, dépecées par son collègue Astrakhan, tout ça pour avancer furtivement au sein d’Ironforge.
Pour une personne, c’est vrai que ça peut marcher. Et encore. Mais de là à penser que personne n’aurait de soupons en voyant une cinquantaine de caisses mobiles à fourrures, fallait vraiment être un murloc ! … pourtant ces deux idiots de druides avaient été diablement persuasifs.
Notre chef de guilde, le mage mort-vivant Myrdinn dirigeait Bloodlust depuis quelques mois maintenant, après la disparition de l’ancien chef Lear, qui avait lui-même hérité de la place lorsque Malcorne avait rendu les armes pour s’occuper plus de sa famille.
Comparé à ses prédécesseurs, Myrdinn faisait preuve d’un esprit d’une rigueur implacable. Il savait tout, sur tout le monde, et comprenait la façon dont les rouages du monde fonctionnaient. Qu’un mage se permette de donner des conseils à un chasseur, ou un voleur, sur leurs façon de combattre paraissait saugrenu. Et pourtant, non seulement il le faisait, mais en plus les conseils étaient d’une justesse et efficacité remarquable. Très vite, toute la guilde avait appris à respecter, et admirer, ce nouveau chef et il disposait d’une autorité quasi absolue au sein de la guilde. Les officiers le secondaient, mais toute notion de lutte de pouvoir était inexistante.
En conséquence, le plus probable aurait été que Myrdinn envoie balader Amildur et Astrakhan quant à leur projet idiot. Hélas pour moi, ce fut l’inverse qui se produit : Le chef de guilde a applaudit sitôt le plan énoncé, avec un enthousiasme rare chez lui. Dire qu’il était capable de résister à la voix du Roi Liche en personne, mais pas à aux arguments foireux de deux grosses vaches… Dans ma tête, le mythe venait d’en prendre un sacré coup.
– Excellente initiative Ami, en plus, ça va faire du bien à la guilde de se bouger un peu. Ca fait longtemps qu’on n’a pas fait une sortie de groupe digne de ce nom !
– On a déjà fait une sortie de groupe en dehors des raids habituels ? s’étonna Waldar, un voleur mort-vivant.
– Oui oui, confirmais-je, un peu navré. C’était le raid sur Astranaar, le village elfique dans la région d’Orneval, où on était juste armés de FC-5000. Tu sais… les… cannes à pêches…
– Ah oui ! s’écria-t-il, la mémoire lui revenant soudain. C’était pas là où le chef Arioch a achevé un elfe en lui enfonçant la FC-5000 dans le— ?
– Oui oui, c’était bien là ! l’interrompit Syanna, une druidesse taurène qui, au moins, avait quelques notions de politesse.
– Et puis, l’elfe a survécu par la suite, donc ça n’a pas compté dans le tableau de chasse d’Arioch, compléta Myrdinn, toujours soucieux du moindre détail.
– Oh… Dommage ! regretta Waldar
Brrrr… quand j’y repense… Pendant longtemps, j’avais vanté les mérites de la FC-5000 à ma guilde. Trop longtemps sans doute. Ca avait fini par se retourner contre moi. Il avait fallu qu’un des officiers Bloodlust, en l’occurrence le guerrier orc Arioch, finisse par voir dans la solidité à tout épreuve des cannes un atout militaire à ne pas laisser de côté. Et un raid à la canne à pêche, c’était tellement gros que l’intégralité de la guilde avait sauté sur l’occasion. Le raid se déroula sans accroc majeur, et la populace locale se fit donc tabasser à la FC-5000. Au final, la bataille fut gagnée par la Horde, et bien qu’il y aie eu peu de mort côté alliance ce jour là, et les elfes présents (surtout un en particulier) en garderont un souvenir douloureux pendant longtemps.
Mais revenons aux organisateurs de la sortie du jour :
Amildur et Astrakhan sont deux druides tauren, plutôt détendus et festifs d’ailleurs, assez loin de l’image du « sage » à laquelle on associe généralement ceux de leur caste. Et en tant que druides, je pensais qu’ils seraient plutôt du genre à proposer une sortie pic-nic, une soirée « fumage d’herbe », ou même pourquoi pas une partie de karaoké. Amildur aime tellement chanter que ça n’aurait surpris personne. Par contre, suggérer un assaut meurtrier sur une ville, il faut reconnaître que ça avait pris tout le monde de court. Les bains de sang, c’est plutôt le travail des psychopathes de la guilde d’habitude, tels que les guerriers, les démonistes, ou les morts-vivants en général.
Mais c’était sans compter sur pas mal de choses qui avaient progressivement exaspéré les deux taurens au fil des années, et une en particulier : le sans-gêne des nains dès qu’il s’agissait de faire des fouilles archéologiques, au mépris de l’environnement le plus proche tout comme des autochtones. Pour un druide, c’était un manque de respect évident de la nature, et pour un tauren ,un manque de respect évident envers les esprits et les ancêtres.
Personnellement, je pense que dans le domaine, les gobelins de la Kapitalrisk font dix fois pire, et juste pour le profit. Alors qu’au moins, il y a une certaine recherche identitaire et historique chez les nains qui a disons… plus de valeur, à mes yeux. Mais bien sûr, ce n’est que mon avis, et c’est pour ça que ce sont eux qui ont voulu ce raid, et non moi.
Le plan de base n’était pas très compliqué. Comme il avait été admis de tous que faire entrer un raid entier (de plus de cinquante personnes donc) par la porte principale manquait de discrétion, sinon d’élégance, et que nous voulions éviter le service d’ordre le plus longtemps possible, nous avions trouvé une autre façon pour pénétrer subtilement dans la forteresse : Trois agents, un démoniste, un voleur, et un druide, devaient infiltrer la cité naine, se réfugier dans une cachette repérée plus tôt, et de là, invoquer le raid entier depuis le cœur même d’Ironforge grâce au rituel magique du démoniste.
A partir de là, la suite était encore plus simple : foncer vers la salle du trône, en profitant de la confusion, et faire un beau bain de sang. Bon, je simplifie un peu. Le vrai plan était un peu plus subtil, même s’il a été conçu par des Taurens. Mais l’idée générale, c’était ça.
La première difficulté fut qu’évidemment aucun démoniste ne voulut se porter volontaire pour la mission tant elle paraissait suicidaire. Honnêtement, je ne peux pas les en blâmer. C’est donc une jeune recrue, dont l’avis ne fut pas demandé, qui y fut affectée d’office. Son nom de code pour l’occasion était « Amiporter ». L’Histoire oubliera son nom réel… Ma camarade Telynoar, voleuse orque rappelons le, n’avait pu résister à l’appel de la mort comme d’habitude, et s’était donc désignée volontaire pour le poste de voleur. Et c’est Amildur en personne qui jouait le rôle du troisième. Je pense qu’il voulait s’assurer personnellement que tout se passerait comme prévu.
Peu après le briefing de base, tout le monde s’attela aux préparatifs. Ce qui consistait surtout en deux choses : préparer les troupes, et préparer le camouflage. La préparation des troupes fut confiée aux alchimistes et enchanteurs, qui devaient préparer le maximum de potions et enchantements d’armes pour le jour J. Les autres furent affectés au camouflage. Ce qui fut malheureusement mon cas.
Après une semaine à coudre des peaux de phoques les unes avec les autres, j’ai cru que j’allais devenir fou. Enfin, plus fou que d’habitude. Ca a l’air simple, comme ça, vu de loin, quand on regarde les tailleurs faire : ils prennent une aiguille, un fil, et hop, vous avez une garde robe complète en moins de cinq minute. Mais quand vous êtes ingénieur, comme moi, ben vous en chiez. Un point c’est tout. Métaphoriquement parlant bien sûr. Mais je passe les détails. J’ai bien essayé de ruser en remplaçant le fil de couture par un autre fil dont j’avais plus l’habitude, à savoir de la mèche de dynamite, histoire de me rassurer un peu. Mais ça s’est vu quand les mèches ont pris peu par accident et que les déguisements ont explosé… même si j’ai toujours pas compris « comment » d’ailleurs, vu que je ne me rappelle pas y avoir ajouté de poudre. Il a fallu tout recommencer à zéro, et j’ai été rétrogradé au rang le plus bas de la guilde pour la fin de la journée, avec le droit express de ne plus dire un mot avant que la punition ne soit levée. Les officiers appellent ça le rang « Tanplan ». J’ai depuis longtemps renoncé à comprendre leur humour.
Remarquez, d’une certaine façon, j’avais eu de la chance : les gars chargés de coller (ou clouer ?) les peaux sur les caisses avaient encore plus de mal que l’équipe couture. Il faut préciser cela dit que les caisses en question était très approximatives. On les avait acheté à un gobelin en grande quantité, mais je le soupçonne de nous avoir revendu de la camelote à moitié pourrie. Il suffisait parfois d’essayer d’enfoncer un clou pour voir la caisse s’évaporer en poussière et en sciure d’un seul coup.
Enfin, quoi qu’il en soit, la veille du raid, Tely est venue voir où j’en étais, a vue que j’étais au bord de l’homicide, et m’a dit à mi-mot que ça serait pas mal que je me joigne au petit groupe d’infiltration pour le lendemain. Ce qui m’a pour le moins interpellé :
– Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse là bas ?! Je te rappelle que j’ai eu aucune formation pour me déplacer furtivement !
– T’inquiètes pas, t’es pas le seul : lors des entraînements, « Amiporter » nous a prouvé qu’il savait être encore plus voyant que la foire de Sombrelune dans un désert !
– … non seulement ça ne me rassure pas, mais pour le coup ça m’inquiète ce que tu me dis. Comment vous allez le faire passer les défenses de Ironforge s’il est si voyant ?
– Ben… Ami a une idée de secours… mais il faut que tu sois là. Oh, et il veut pas trop que ça se sache parce que c’est un peu bizarre, donc on compte sur ta discrétion.
Et il en fut ainsi. Le lendemain matin, je me retrouvais donc en compagnie d’Amildur, Telynoar et « Amiporter », en plein milieu de Dun Morogh, à distance respectable du bastion des nains.
– Bon, Luther, attend nous ici, on va essayer de passer conformément au plan. ordonna Amildur
– Et je fais quoi ? Je gèle sur place ? répondis-je, un peu énervé, et ne comprenant toujours pas ce que je foutais là.
– A toi de voir. Allez, à tout à l’heure. Tely, Porter, suivez moi discrètement.
Le petit groupe s’éloigna, en direction d’Ironforge…