193ème jour – 4eme Partie
Pour le coup, je me sentais pas super bien, et j’essayais de réfléchir à tout ce qu’il allait falloir faire pour mener la mission à bien et rester en vie. Mais pour l’instant, c’était la page blanche. Je n’avais aucune idée. Et nous manquions de temps.
Cela dit, je n’eu pas vraiment le temps de broyer du noir : nous étions sortis depuis à peine quelques secondes quand Torfarlak me posa la question qui l’obsédait.
– Luther, comment une guérisseuse devient Seigneur de Guerre ?
– Euh… je… euh…
J’étais un peu gêné par la question. A dire vrai, ça restait un mystère pour moi aussi. J’avais toujours connu Lumi comme étant une soigneuse hors pair, et d’une gentillesse peu commune pour une réprouvée, surtout envers les bestioles. Et pourtant, je savais bien que comme tous les morts-vivants, elle avait forcément une part d’ombre. D’ailleurs, nous venions juste d’y être en partie confrontés pendant le briefing. Tout avait commencé il y a un an. Elle s’était engagée brusquement dans l’armée active de la Horde, de même bon nombre d’entre nous. De mon côté, ce fut une période désagréable. Je m’étais vite rendu compte que l’armée n’était pas faite pour moi. Je suivais les ordres, mais n’en faisait jamais plus que le strict minimum, et j’évitais les batailles autant que possible. J’étais meilleur pour rapporter des informations, et courir vite. J’ai donc eu rapidement le grade d’éclaireur, et aie toujours pris soin de ne jamais monter en grade plus haut que cela.
Pour Lumi, ce fut très différent. Ambition ? Soif de sang ? On ne sait pas ce qui la motivait alors, mais elle y mettait tout son cœur… ou plutôt toute son absence de cœur, devrais-je dire. Je ne l’avais jamais croisée en combat à cette époque, mais certains témoignages affirment qu’elle s’était montrée véritablement impressionnante… et effrayante. On disait que pour un grunt de la Horde dont elle sauvait la vie, elle prenait celle de dix soldats de l’Alliance. Il paraissait également qu’elle avait fait appel aux pouvoirs de l’ombre pendant une longue période, et que sa simple présence sur les champs de bataille faisait chuter le moral des troupes adverses. Comment une telle transformation était-elle possible ? Je n’en savais rien.
Je répondis donc simplement à Torf :
“Parfois, dans la vie, y’a des questions qu’il vaut mieux laisser sans réponse. Celle là en fait partie. En tout cas, moi, je ne tiens pas à savoir.”
Après, que ça soit exagéré ou pas, les faits restaient les mêmes : elle avait gravi les échelons très vite, et avait atteint le grade de Seigneur de Guerre en quelques mois. Et puis, après, aussi subitement que sa frénésie meurtrière avait commencé, elle cessa. Luminelle reprit le service passif, quitta les champs de bataille, redevint la paisible soigneuse que nous avions toujours connu. La seule différence était que de temps en temps, on lui confiait des missions en rapport avec son rang. Comme aujourd’hui.
– Bon, donc on va au refuge de l’ornière si j’ai bien compris ?
– Tu es si pressé que ça de mourir Torf ?
– Quoi ? Non, bien sûr ! C’est juste que les ordres du seigneur de guerre sont de-
– Je connais les ordres, Torfarlak. J’étais à deux mètres de toi pendant le briefing. Reste que si on y va à deux, on sera juste de la viande froide à la fin de la journée. Enfin, toi surtout. Moi c’est déjà le cas.
Nous continuâmes à marcher au sein du campement. Marcher m’aide à réfléchir la plupart du temps. Mais ça rendait Torf nerveux.
– Alors qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-il, un peu anxieux.
– J’en sais rien… Je vois pas comment on peut faire, honnêtement. Tel que je le vois actuellement, c’est juste impossible.
– Sur ce point, on est complètement d’accord Luther !
Sauf que ce n’était pas Torfarlak qui m’avait répondu. Mais je connaissais bien cette voix. Nous nous retournâmes, et j’eu le grand plaisir de reconnaître ma collègue Erinye, une autre prêtresse de l’Ombre, au talent indiscutable.
– Tiens. En voilà une surprise. Est-ce que ?…
– Oui, me confirma Erinye avant que je n’aie pu terminer ma phrase, Modig et moi sommes en mission ici pour la même chose que vous.
– Luminelle vous envoie où ?
– On est le groupe chargé des kidnappings à Southshore.
– Par curiosité, qui a été envoyé à Dalaran ?
– Céline et Zoggy je crois.
– Pauvres mages.
– Oui.
A côté d’Erinye se tenait Modig, guerrier Tauren, qui était… le guerrier par excellence. Il lui avait fallu plus de six mois pour comprendre qu’il existait des maîtres de classes qui pourraient l’aider à s’améliorer en tant que guerrier. Il était parti du principe que si taper comme une brute suffisait au début, donc ça devait suffire tout court. Pas besoin d’apprendre des techniques compliquées. Et il était têtu le bougre ! Il avait fallu que Malcorne, à l’époque chef de guilde, lui ordonne d’aller voir le maître pour qu’il le fasse sans trop ronchonner. Modig, donc, s’approcha moi, et me salua à son tour.
– Bonjour Luther, dit-il de sa grosse voix, beaucoup plus posée et grave que celle de Torfarlak.
– Bonjour Modig, ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas croisé.
– Oui. Tu as changé.
– Ah ? m’étonnais-je
– Oui. Ta couleur de peau. Tu es brun maintenant. Avant tu étais plus bleu.
– Quoi ? répondis-je surpris
Je ne voyais pas vraiment la différence. Pour moi, j’étais gris. Puis je réalisais que je n’avais toujours pas nettoyé toute la poussière accumulée à Kargath. Un seul problème demeurait : à cause des préparations militaires en vigueur, le point d’eau était surveillé. Je ne pourrais donc pas me jeter dans le puit pour prendre un bon bain sans que Luminelle n’en soit informée… et j’avoue que je préférais éviter vu les circonstances.
– Ah, oui… la poussière… Il va falloir que je la supporte encore un peu je crois.
– Ca te va pas trop mal en même temps tu sais. Répondit Modig, avec un début de sourire.
– Merci, mais je préfère mon « teint naturel ».
– Tu devrais pouvoir la dégager dans la rivière qui n’est pas très loin d’ici, intervint Erinye, au pire, il faudra que tu attendes qu’on soit aux Moulins.
– Oui, sans doute. Bah, ça fait déjà un moment que je suis dans cet état là. Je peux bien le supporter encore un jour ou deux. … Sinon elle est où cette rivière tu as dit ? demandais-je innocemment, avec l’envie pressante de plonger dedans le plus vite possible
Pendant que je répondais à Erinye, Modig s’était rapproché de Torfarlak, et je les entendis parler à côté de nous en Taurahe, la langue tribale des tauren. Bah, autant qu’ils fassent connaissance. J’en profitais pour parler de la mission avec Eri.
– Tu as un plan toi pour survivre toi ?
– Oui, j’ai déjà réglé les détails. Ca fait un peu plus d’une semaine qu’on a été briefés, avec Modig, et qu’on était d’accord qu’à deux, c’était du suicide pur. Donc on a eu le temps de se préparer.
– Plus d’une semaine ? Tant que ça ? Mais pourquoi ils ne m’ont pas convoqué plus tôt !
– Je pense qu’Amildur voulait que tu purges un minimum ta peine. C’était quand même un beau foirage que tu nous as fait l’autre fois… oh, et y’a une autre raison : apparemment, ton binôme s’était paumé en cours de route, vers Kargath. Tely a perdu sa trace pendant plus de deux jours, on ne sait pas où il est passé pendant ce temps.
Tiens. Voilà un point qu’il me faudrait éclaircir avec Torf plus tard. Cela dit, s’il était effectivement arrivé avec deux jours de retard, ça expliquait aussi en partie pourquoi il avait eu autant les pétoches vis-à-vis de moi. Erinye eu un petit sourire en coin et continua :
– J’ai entendu une partie de ton briefing en douce. T’es toujours autant sur la défensive dès qu’on t’envoie en mission, je trouve ça amusant.
– Ah bon ? Pourtant ça ne m’amuse pas des masses moi. Répondis-je en ronchonnant.
– Bah, essaie de voir les bons côtés de la non-vie ! On est plus dur à tuer que les vivants.
– Va dire ça aux cendres de Drio.
– Drio c’était autre chose : il était pas crédible. Et j’ai dit qu’on était plus résistant, pas immortel ! Enfin, si, on est immortels vu qu’on a plus à s’inquiéter de la vieillesse. Mais bon, tu vois ce que je veux dire.
– Oh, oui. Parfaitement. Confirmais-je, un peu navré.
– Ah, lala. Arrête de grincer s’il te plait. Allez, suivez nous, tu vas voir que tu as tord de t’inquiéter. Modig ?
Les deux Taurens interrompirent leur discussion, et Modig se tourna vers son binôme.
– Oui Erin ?
– On va aller devant la grande porte du camp, pour attendre les renforts.
– Entendu.
– Vous avez réussi à obtenir des renforts ? m’étonnais-je. Je croyais que tout le monde avait été réquisitionné.
– Presque tout le monde, oui. Me confirma Erinye. Mais j’ai réussi à trouver quelques personnes qui ne l’ont pas été. Elles ne devraient pas tarder d’ailleurs…
– Oh, de qui il s’agit au juste ?
– Tu verras bien ! répondit-elle en me faisant un clin d’oeil.
… A SUIVRE …