148ème jour – 4eme Partie
Un défile plutôt grotesque à mon humble opinion.
D’aucuns trouveraient ça poétique, voire même lyrique, tant de guerriers habilement dissimulés ainsi, prêt à lancer un assaut meurtrier sous les yeux aveugles de leurs ennemis. Si tant est que ça veuille dire quelque chose bien sûr. Mais personnellement, j’avais surtout hâte que ça se termine. En plus les peaux de phoque sentaient le moisi, la mer et la bière frelatée à la fois, et même pour un mort-vivant, c’était pénible.
Nous avancions lentement, au gré des informations des éclaireurs, nous immobilisant dès qu’une patrouille était en vue, et repartant dès qu’elle avait disparu. Je pense qu’on a bien du faire… oh, allez, cent à cent cinquante mètres en une demi-heure. Avec un peu de chance, à ce rythme, on serait à la salle du trône pour le dîner. Cela dit, à ce stade, j’étais plutôt content parce qu’au moins, on évitait le danger.
Mais mon bonheur allait être de courte durée, puisqu’au virage suivant, une patrouille apparut d’on ne sait où, et nous avons juste eu le temps de nous empiler maladroitement contre un mur avant qu’elle ne nous aperçoive. Les nains, bien qu’étonnés de n’avoir jamais remarqué une telle quantité de caisses plus tôt continuèrent néanmoins leur route et on se crut tiré d’affaire. Puis Khom s’aperçu que l’un d’entre nous avait fait tomber quelque chose sur la voie dans la précipitation pour se planquer de la patrouille. L’objet était loin de nous, mais les nains se rapprochaient de lui.
– On dirait… euh… on dirait un totem. Déclara le shaman, expert dans ce domaine.
– Totem de quoi ? demanda Amildur, soudain inquiet
– Euh… ben… c’est-à-dire…
– Pitié, ne me répond pas « Totem de Magma ».
– D’accord ! lui dit Khom, soudain soulagé.
– Et merde. Bon, quel est le shaman à qui il manque un totem de magma ?!
– Euh… je crois que c’est le mien, intervint Kalvaire, un shaman orc et vétéran de la guilde.
Amildur soupira. Ce n’était ni la première, ni la dernière des bourdes imputables à Kalvaires. Mais comme pour tout le reste des bizarreries liées à tel ou tel membre de la guilde, tout le monde s’y était habitué et réagit rapidement.
– Il faut vite le casser, s’alarma Myrdinn. Regardez ! Les nains sont presque à son niveau ! Avec notre chance, il va leur péter en plein dessus, et là, ça sera foutu niveau discrétion !
Un autre shaman, tauren cette fois, au tempérament électrique décida subitement de jouer les héros.
– Je m’occupe de ça, ne vous inquiétez pas ! Lança Fisk.
– NAN FISK ! PAS CA ! NE LANCE PAS UNE— cria Khom, sachant pertinemment ce qu’allait faire son collègue.
Mais Fisk tendit le bras, qui se chargea d’électricité, et une chaîne de foudre fut précipitée sur le totem. Puis elle rebondit sur l’enseigne de taverne la plus proche, qui fondit et s’écrasa sur le sol en un « blunk » abominable. Les nains de la patrouille se retournèrent subitement, pour voir d’où venait le bruit. La seule chose qu’ils virent fut l’éclair qui les frappa de plein fouet et les grilla net. Le scénario catastrophe de s’arrêta pas là : la chaîne d’éclair, enthousiaste, rebondit vers le haut après en avoir fini avec les nains et se répercuta avec fracas sur les stalactites qui composaient le plafond de la ville. Après une quinzaine de rebonds qui donnaient l’impression d’avoir un orage miniature en suspension, l’éclair disparut enfin. Fisk en profita pour rouler des mécaniques.
– Vous voyez ? d’une pierre deux coups ! Pas de raison de s’inquiéter.
Mais le répit fut de courte durée : ainsi fragilisés, les stalactites commencèrent à craquer, puis à nous tomber dessus. Toutes les caisses cherchèrent à esquiver les fragments de roche le plus possible. La caisse que je partageait avec Erinye manqua d’être écrasée à deux reprises, mais heureusement, nos boucliers personnels la solidifiaient suffisamment pour nous protéger. Une autre caisse n’eut pas cette chance et fut écrasée de plein fouet. Tout le monde s’arrêta immédiatement, cherchant à savoir qui venait d’être écrasé.
Puis une lumière rayonnante sortit de la caisse en même temps que deux anges, qui se disputaient bruyamment, tout en émettant autour d’eux une aura de lumière et de scintillement presque divin. Il ne manquait que la musique d’église pour que le tableau soit complet :
– Je t’avais dit de tourner à gauche Lumi ! Pas de continuer tout droit !
– Eh, si on avait tourné à gauche, on serait tombé dans le caniveau, alors crotte ! Et puis la prochaine fois, t’as qu’à passer devant Morsek !
– C’est toi qui as insisté pour conduire, t’es gonflée !
Eh oui. Dans la série « un malheur n’arrive jamais seul », il avait fallu que les deux écrasés soient les prêtres guérisseurs Luminelle et Morsek, tous deux réprouvés. Ils s’étaient changé en anges suite à leur mort subite à tous les deux, ce qui donnait un magnifique son et lumière, mais hélas pas très discret
– Mais chuuuuut ! Taisez vous bordel ! Râla Myrdinn. Vous voulez vraiment qu’on se fasse tuer ?!
– Ben, nous c’est déjà fait. Lui fit poliment remarquer Morsek.
– Ok, pardon, on se tait. Grogna lumi à son tour.
Quelques secondes plus tard, les deux anges réintégrèrent ce qui restait de leurs corps. Quelqu’un tapota sur le dos de Myrdinn à ce moment là. Il se retourna, de même que nous tous, et nous découvrirent avec horreur qu’une foule de nains s’était rassemblé autour de nous avec curiosité. Le mauvais point, c’était qu’on était repéré. Le bon point, c’est qu’on avait été tellement bruyant et étranges qu’ils n’ont pas compris qui on était du premier coup :
– Excusez moi, demanda poliment le nain, mais on se demande avec les copains si vous êtes pas, par hasard, le nouveau spectacle de la foire de Sombrelune ?
Ce qui n’était vraiment la chose à dire à un chef de guilde déjà stressé. Tout ce que Myrdinn parvint à dire, tint en un mot, simple, mais évocateur :
– CHAAAARGEEEEZ !
Les caisses chargèrent donc. Sauf les orcs, qui rampaient toujours à ce moment là. Mais à charger à moitié en aveugle, et surtout sans savoir sur qui on chargeait, on se rentrait à moitié dedans en fait. Les nains, polis, s’écartaient sur notre passage, tout en nous suivant, curieux de voir ce qu’on allait faire.
– BLOODLUST ! A L’ASSAUT ! SORTEZ DES CAISSES ! ATTAQUEZ LES PAINS ! cria Amildur à son tour.
Plus tard, mais trop tard hélas, on comprit qu’il avait voulu dire « nain » au lieu de « pain ». Ou qu’il voulait qu’on mette des « pains » aux « nains ». Quoi qu’il en soit, le tout c’était embrouillé dans sa tête, et c’est cet ordre absurde qui en sortit.
Les caisses volèrent de tous les côtés : les morts vivants et les trolls les jetèrent bruyamment, les taurens les jetèrent sur le sol et les écrasèrent avec un coup de sabot pour impressionner les adversaires, les orcs bandèrent leurs muscles des épaules au maximum pour faire littéralement exploser leurs caisses et en sortir d’un coup. Puis tout le monde se rua sur les boulangeries les plus proches. Les fiers membres du raid attaquèrent méthodiquement les croissants, déchiquetèrent les pains aux chocolats, broyèrent les baguettes traditionnelles, et annihilèrent les pains de campagne. Le massacre fut total. Aucune viennoiserie, aucun sablé, aucune miette n’en sortit intact. Même la grande boulangerie d’Ironforge, réputée pour la saveur des ses moelleux à la bière, ne put échapper à la tornade de dévastation. Pour tous les boulangers, ce jour resta dans les mémoires comme la fin d’une ère de paix. C’est à partir de là que les pains blindés au thorium furent conçus, et que la boulangerie naine se réorienta dans l’artisanat de la guerre. Mais cela aurait lieu bien plus tard.
De notre côté, ivres de gloire et aveuglé par la farine sur nos yeux à tous, le raid fonça dans en ligne droite dans Ironforge, direction la sale du trône pour buter le roi des pains ! Les troupes étaient galvanisées, et rien ne semblait pouvoir (ni vouloir en fait) nous arrêter !
Puis, alors qu’il regardait le raid tout en avançant, Amildur lança cet ordre qui resta mythique :
Suivez moi les Bloodlust ! Par ici, c’est la gloire, et la revanche sur ces salauds de pains ! A l’assauuuuuuuu—AAAAAHHHHHHHH !
La dernière parti du cri de guerre était en fait un vrai cri : à marcher sans regarder où il allait, Amildur venait de tomber dans un grand trou. Mais à cause du début du cri de guerre, tout le monde le suivi et sauta dans le trou en cœur. La chute sembla durer une éternité, mais cet étrange tunnel en pente raide où nous tombions regorgeait de matière chaude et molle qui amortissait quelque peu les chocs, donc ça allait.
Et puis finalement, la lumière au bout du tunnel. Et nous atterrîmes tous dans la neige. Une neige pas très propre d’ailleurs, mais ça n’avait rien de surprenant puisque c’était là que se déversaient les excréments de la cité naine… Par le moyen des conduits d’évacuation tels que celui que nous avions tous emprunté de bon cœur.
Nous nous sommes donc retrouvé dehors, couverts d’excréments (entre autres choses), mais fier d’avoir mis à sac toutes les boulangeries d’Ironforge, et surtout, de ne compter aucune perte dans nos rangs. Enfin, à part les deux prêtres, mais de toute façon, comme on a réussi à les ressusciter après, ça ne compte pas vraiment comme des pertes.
Après avoir repris ses esprits, Myrdinn regarda autour de lui, comprit finalement ce qu’il s’était passé, puis déclara la fin du raid :
– Bon, ben voilà, fin de la sortie de groupe les enfants. On espère que ça vous a plût. Merci d’être venus à tous. Rendez vous mercredi prochain pour la suite, et n’oubliez pas de prendre vos potions de résistance à la nature ! Il est prévu qu’on essaie de tuer les insectes géants d’Ahn Qiraj ! Bon, allez, bonne semaine à tous !
Et sur ce, il ouvrit un portail à destination d’Orgrimmar, que pratiquement tout le monde emprunta. Avant de traverser le portail, je croisai Khom, qui était assis, à essayer de nettoyer un peu son armure avec de la neige. Je lui tapais solennellement sur l’épaule :
– T’avais raison Khom, on s’en est tous tiré. Lui dis-je en souriant.
– Tu vois ? Aucune raison de s’inquiéter ! Comme dans du beurre c’est passé ! répondit-il avec un grand sourire à son tour.
– Allez, à bientôt mon ami.
– A plus Luther ! Hésite pas à passer à Mulgore un de ces quatre.
– J’y penserai, j’y penserai.
Puis j’empruntais le portail à destination d’Orgrimmar. Une fois le portail franchi, je rejoignis mes camarades de guilde dans les eaux de la vallée des esprits, afin de me nettoyer un peu. On se ferait encore engueuler par les prêtres trolls qui habitaient là, mais ce n’est pas grave. Le moment était tellement paisible, à être tous là, à barboter et dégueulasser la flotte en guilde entière que je n’avais pas le cœur à partir pour l’instant.
On a tous fini par se faire chasser des eaux sacrées un bon quart d’heure plus tard, mais le mal était déjà fait et ça leur prendrait des semaines avant que la vallée soit aussi propre qu’à l’origine.
En tout cas, la chose qui m’amuse le plus, c’est d’imaginer la tête des nains qui n’ont vraiment pas du comprendre ce qui s’est passé… et qui vont devoir se passer de pain et de baguette pendant un bon moment. Finalement, ce fut une bonne journée.
Au final, le raid fut donc un échec complet. Mais qu’importe ! C’est vrai que quand on regarde nos membres, on trouve des fous, des psychopathes, des péons et surtout une importante concentration de débiles finis. Et beaucoup trouvent étonnant, voire même incompréhensible, qu’une guilde pareille puisse exister (et survivre !) en Azeroth. Mais comme le dit si bien Amildur, « This is Bloodlust ! ». Et c’est ça qui est bon !
– Extraits du Journal de Luther, prêtre des ombres, au service de la Dame Noire.